Quand j’étais enfant, Grand père, mon grand-père maternel, Gabriel, était cette sorte de Dieu dont je vous parlais dans ma première lettre.
Un être exceptionnel qui savait m’aimer, tout simplement.
Le souvenir de l’amour tient souvent en des choses banales en apparence, mais qui vous insufflent la joie, tout au long de votre vie.
Lui, il m’avait inventé un jeu que j’adorais entre tous : « Romano ».
Nous nous allongions sur le plancher, il me prenait dans ses bras et nous roulions, nous roulions... moi dessus, lui dessous, moi dessous, lui dessus… Comme ça, d’un bout à l’autre de la pièce, aller-retour, comme des fous, bousculant tout sur notre passage, sans précaution des pieds qui se rangeaient en toute hâte à notre approche.
Et l’on riait, riait. C’était le bonheur de vivre.
Ce jeu, s’il était à mon goût n’était pas toujours au goût de tous.
S’il l’avait appelé «Romano», c’était sans doute parce que dans ce vieux pays de Creuse, c’est avec ce mot que l’on désigne les gens du voyage : romanos, romanichels.
Je sais qu’au fond de lui il enviait leur liberté et contrairement à beaucoup il les respectait. J’ai toujours perçu ce trouble dans sa voix lorsqu’il en parlait. Je ressens à mon tour cette curieuse attirance qu’il m’a léguée, j’imagine qu’elle doit être de la même eau que celle des chiens pour les loups.
«Romano» c’était ma plus grande joie, un manège infernal qui me fait encore tourner la tête.
Fortement serrée dans ses bras, je ne risquais aucun mal, lui sans doute attrapait-il quelques contusions aux coudes ou aux genoux, mais je le sais, son plus grand bonheur était de lire la joie dans mes yeux d’enfant.
Ce vieux coureur des bois, ce braconnier, que je rêvais d’accompagner dans ses escapades forestières, rêve à jamais inassouvi, j’étais alors trop jeune et quand je fus en âge lui était trop vieux, m’offrait avec «Romano» ce goût de la liberté des choses «qui ne se font pas».
Quelle qu’ait pu être sa vie, quelles que furent ses erreurs, ses faiblesses d’humain, il reste à mes yeux le plus merveilleux grand-père, un grand-père comme j’en souhaite à chaque enfant.
Si vous le connaissez, Grand-père, là où vous êtes, si vous le rencontrez, dîtes-lui à quel point je l’aimais, combien je l’estime, et qu’il n’oublie pas de me réserver une grande partie de «Romano» lorsque je le rejoindrai.
Ce me semble pourtant, il n’est jamais trop loin de moi.
Ainsi, un après-midi de printemps, alors que je me promenais dans cette campagne qui fut son berceau, juste à la sortie du village, j’ai cru voir les herbes du chemin par ses yeux.
C’était comme s’il me parlait au travers d’elles, me faisant ressentir, en me prêtant un peu de son regard, l’amour qu’il portait à leur parfum, au souffle du vent et à cette vie bruissante de l’univers végétal.
Je sus qu’à cet instant, il m’offrait son âme et j’ai réalisé à quel point il était bon, généreux et sensible.
Il était un enfant des bois déchiré par les contingences de la vie des hommes.
N’était-ce qu’un rêve Grand-père, un parfum d’herbes nostalgiques, la rémanence d’un passé exhalé par la terre ? Qu’importe ! C’était !
Cette petite touche de compréhension de la vie d’un autre fut un moment important de la mienne, à vous témoigner, absolument.
Je vous embrasse Grand-père, à très bientôt.
AD
photo©adamante
Lettres à Grand-père manuscrit protégé SACD