J’ai longuement marché aujourd’hui Grand père, jusqu’au parc de mon enfance.
Nous y avons cheminé ensemble bien souvent, tu te rappelles ? dans la tendresse des printemps qui ont jalonné ma vie.
J’ai retrouvé le parterre aux marguerites où nous avons cueilli tant d’énormes bouquets que ma main d’enfant avait du mal à tenir.
Te souviens-tu de ma joie Grand père, lorsque fièrement j’offrais ces bouquets à ma mère ?
La tonnelle en vigne vierge est toujours là, sur le bord du chemin qui mène à la source.
Le temps n’a pas ridé le paysage, sa force végétale éclate vers le ciel sa formidable envie de vivre. La sève rugit son désir d’expansion, de transformation.
Que d’extraordinaires chasses aux papillons nous avons vécues là, sur l’imaginaire de Brassens qui chantait dans nos têtes.
Aujourd’hui, curieusement, j’y ai vécu ma mort. Je m’offrais à l’espace comme la marguerite offre son cœur au soleil.
J’avançais sur le chemin lorsque j’ai succombé à une sorte de sacrifice rituel. Je me suis vue, lapidée par ma propre main, éparpillée sur la terre qui buvait mon sang. J’étais tout à la fois actrice et témoin de la scène.
Ce n’était pas triste Grand père, ce n’était pas monstrueux, c’était naturel, une sorte de consomption sacrée, un acte de salut.
Je n’étais plus. Mon âme, éclatée comme un cristal brisé, gisait au milieu de mes lambeaux de chairs. Je le savais, je pouvais dès lors ne plus jamais être, mais je n’ai pas connu la peur. L’offrande était totale, joyeuse et grave à la fois, sans souci de l’issue.
Et la terre a frémi Grand père, et la terre a germé. Elle a donné naissance à un homme de glaise. Il était mon sang, il était le renouveau.
La créature s’est penchée vers moi, a pris les éclats entre ses mains, unifiant ce qui avait été séparé. Alors, mon corps a retrouvé sa cohésion.
Je me suis relevée, lavée de mes scories, régénérée.
J’ai abordé la dimension du calme, de la sérénité.
En mourant à moi-même j’étais née à la vie, à ma joie.
Grand père, cette joie, je voulais la partager avec toi.
Je t’aime comme j’aime la vie, Grand père, jusqu’à l’infini inexprimable, jusqu’aux confins de l’océan secret des ondes.
AD
Lettres à Grand-père manuscrit protégé SACD