Vous allez me dire que je me pose des questions qui ne sont pas à se poser
Peut-être avez-vous raison
Mais peut-être que c’est moi qui ai raison
Alors dans le doute…
Car il y a doute ! Vous ne pouvez pas le nier
Je me pose donc une question
Avez-vous déjà entendu, ou plutôt écouté
La chanson : « au clair de la lune » ?
Oui, bien évidemment
Vous l’avez chantée quand vous étiez petits
Et je suppose que vous la chantez encore
Quand vous êtes seul
Comme ça, sans penser à rien
Et surtout pas aux paroles
Parce que si vous commencez à penser aux paroles
Je me demande si vous aurez encore envie de la chanter
Ou alors vous la chanterez différemment
Je m’explique
« Au clair de la lune mon ami Pierrot »
Jusque-là tout va bien
C’est bucolique !
La lune est un astre sympathique
Les poètes Chinois dont Li Baï n’iront pas vous contredire
Ils ont écrit des merveilles sur le sujet, en y associant le vin
Ce qui n’est pas le cas dans la petite chanson de Pierrot
Donc, passé ce premier vers, ni stupide, ni puissant
Il faut bien l’avouer
Nous entendons :
« Prête-moi ta plume pour écrire un mot »
Là, eh bien là, on peut commencer à se poser des questions
Le gars de la chanson qui veut écrire un mot n’est pas très prévoyant
C’est le moins que l’on puisse dire !
On peut raisonnablement se demander s’il a l’habitude d’écrire
Non, je ne fais pas du mauvais esprit !
Mais vous en connaissez vous, des écrivains
Qui n’ont pas le matériel requis pour noter leurs précieuses pensées ?
Pensées qu’ils n’ont pas envie de laisser passer
Pensez donc !
Car tout écrivain qui se respecte, pense que ses pensées sont primordiales
Et qu’ils se doivent de les noter pour la postérité
Ils croient en eux, en leur talent !
Ils ne vont donc pas oublier l’outil principal de leur future gloire !
Donc celui-la
Celui de la chanson
C’est un écrivain du dimanche !
Il faut parfois savoir dire la vérité
Sans acrimonie, mais sans détour
C’est une espèce de rêveur à la petite semaine qui ne croit pas en lui
Et qui se permet l’outrage d’aller enquiquiner l’ami Pierrot, la nuit
Pour lui emprunter un stylo !
Mais s’il s’arrêtait là…
S’il s’arrêtait là, on pourrait encore lui trouver des circonstances atténuantes :
La jeunesse
Un trouble passager
Peut-être que la veille il a rencontré l’amour de sa vie
Et que tout cela le tourneboule un peu
Alors, si on se met à la place de Pierrot
Pour une fois, on pourrait lui prêter une plume
Et pourquoi pas un encrier rempli d’encre
Il ne faut pas décourager les vocations !
Mais non !
Pas du tout !
Le gars en question dans la chansonnette, c’est pas du tout ça !
Il ne s’arrête pas là !
Non content de n’avoir pas de plume pour noter ses idées de génie
Voilà qu’en plus, et ce n’est pas moi qui le dit c’est la chanson :
« Sa chandelle est morte et il n’a plus de feu… »
Mais qu’est-ce que c’est que cet individu ?
Qu’est-ce que c’est que cet individu incapable de surveiller une chandelle ?
Qu’est-ce que c’est que cet oiseau capable de laisser mourir son feu ?
Personnellement, s’il vient me réclamer de l’aide
Un travail
Un travail de Vestale par exemple, dans le temple de mes mots
Je réfléchirais à deux fois avant de lui dire oui !
S’il est incapable de surveiller une pauvre chandelle
Il est tout à fait capable de mettre le feu à ma bibliothèque !
On réfléchit tout de même, avant de faire n’importe quoi
En embauchant n’importe qui !
Bon, par sécurité, sans arriver jusqu’à lui dire non
Je l’enverrai quelque part, assez loin, pour réfléchir
C’est bête, mais vous savez ce que c’est que les scrupules !
Les doutes sont tellement forts qu’on a envie de dire non
Mais les scrupules viennent vous visiter pour vous arrondir vos angles
Alors au lieu de dire non
On suggère au gars d’aller faire un petit tour de France
Pour trouver une plume à sa main
Bref, on l’incite à apprendre à se débrouiller tout seul
Et en espérant, il faut le reconnaître, ne plus jamais le revoir…
Mais ça c’est moi !
Et puis d’ailleurs, il ne m’a rien demandé
C’est vrai !
Je m’emballe… Enfin !
Pour en revenir à la chanson, elle finit en apothéose
Voilà que le gars termine son couplet en disant :
- « Ouvre-moi ta porte pour l’amour de Dieu »
Alors là !
Alors là ! ça dépasse les bornes !
Ça dépasse tout ce que l’on peut imaginer !
Passons, qu’il ne soit pas un génie
Passons, qu’il n’ait pas la force d’esprit nécessaire pour se débrouiller seul
Passons, qu’il soit distrait pour laisser s’éteindre son feu
Mais en arriver à une telle extrémité
À un tel manque d’amour-propre
C’est proprement intolérable !
Rendez-vous compte !
Faut-il manquer de la moindre fierté
Pour tenter de susciter la pitié en invoquant la tendresse divine !
Parce qu’en invoquant la tendresse divine
Il ne fait rien moins que de vouloir culpabiliser l’ami Pierrot !
Là, il dépasse les bornes !
C’est tout bonnement malhonnête !
Il s’agit d’une attitude inqualifiable
Tellement inqualifiable que je ne trouve pas de mot pour la qualifier
Et ça, ça n’est pas dans mes habitudes !
Tiens ! Si j’étais l’ami Pierrot,
Je l’aurais foutu dehors avec un grand coup de pied où je pense !
Et je sais que vous pensez ce que je pense !
Ça n’est pas zen, j’en conviens
En faisant cela, je bousille ma nuit pour un incapable
Je sais aussi que c’est mauvais pour mon cœur
Mais enfin, on n’est pas toujours juste…
Et parfois… Quand même !
Mais heureusement
Heureusement
L’ami Pierrot ne s’est pas laissé prendre au piège
Et en homme averti
Sans plus d’état d’âme
Il a pratiqué le « cause toujours et barre-toi de mes plates-bandes… »
En se retournant dans ses draps bien chauds
Qu’il n’avait pas envie de quitter pour venir en aide à cet olibrius
Il l’a rembarré en lui disant qu’il n’avait pas de plume
Et il l’a envoyé, ça c’était à n’en pas douter une vengeance personnelle
Et un peu mesquine, on en conviendra
Il l’a envoyé sonner à la porte de la voisine en pleine nuit
Prétextant qu’elle « battait le briquet »! *
Je te demande un peu…
Il est complètement hors sujet le Pierrot ici !
On lui demande une plume pour écrire un mot
En lui signalant, pour l’amadouer, rien de plus
Qu’on n’a plus de feu parce qu’on a laissé s’éteindre la chandelle
Et voilà qu’il répond à côté, que la voisine « battait le briquet ! »
Bon, on peut parfaitement admettre que le gars, un peu surpris
Ait pu comprendre que la voisine avait une plume à lui prêter
Puisque c’est ce qui l’intéressait après tout !
Et que ce ne serait pas mal finalement qu’elle puisse aussi lui rallumer sa chandelle.***
C’est vrai, c’était une occasion à ne pas manquer !
Mais pauvre de nous !
Une plume !
Si elle en avait eu, une plume, la voisine
On se demande bien où elle aurait bien pu la mettre
Et ce qu’elle aurait bien pu en faire !
Tout le monde se doutait bien que la voisine ne savait pas écrire !
C’est évident !
En y réfléchissant plus avant, on est légitimement en droit de se demander, si l’on peut en vouloir à Pierrot de cette dérobade et de cette apparente idiotie !
L’ami Pierrot était peut-être avec Colombine, et il n’avait pas envie de perdre un temps précieux à écouter un rigolo !
Un lubin** venu frapper à sa porte, le déranger dans ses ébats amoureux
Un escogriffe qui cherchait une plume, en plein milieux de la nuit, sous la lune, après avoir laissé crever sa chandelle !
Un sans gêne donc, un malotru, un Jean-foutre, qui ne méritait aucune attention !
Vous, à la place de Pierrot, qu’auriez-vous fait ?
Passons sur l’épisode de la voisine, qui n’est peut-être pas le plus glorieux
Mais, après tout, être réveillée en pleine nuit n’est pas mortel
C’était peut-être une vieille carogne de voisine comme on en connaît !
Eh bien, moi je trouve qu’il a eu raison finalement le Pierrot
Et voulez-vous que je vous dise ?
Je le soupçonne même d’être un sacré petit malin
Je le soupçonne d’avoir écrit lui-même cette chanson
C’est vrai, on n’en connaît pas l’auteur…
Oui, je le soupçonne d’avoir écrit lui-même cette chanson
Pour passer à la postérité
Et je le soupçonne aussi de l’avoir écrite pour se venger de toutes les voisines acariâtres
Alors…
Maintenant que vous connaissez le dessous des choses, vous êtes libre de la chanter encore cette petite chanson, mais je doute que vous la chantiez comme auparavant.
Ce que c’est quand même que l’analyse !
©Adamante
Analyse des mots et des expressions :
* Battre le briquet : Heurter la pierre à briquet pour en tirer une étincelle
Faire la cour à une femme
Avoir des relations sexuelles
**Lubin : moine dépravé
*** Rallumer la chandelle : est-il vraiment nécessaire de vous expliquer la chose ?
Comme quoi, les p'tites chansons pour les minots...
Mais il est à noter que c'est fort, très fort. Cette petite merveille de chanson a fait les beaux jours de tant de générations qu'il faut lui reconnaître son génie, elle est indémodable et petits et grands y trouvent leur compte.
Et ça m'étonnerait qu'en partant d'ici vous ne la fredonniez pas...