Avertissement : J.B m'a demandé de parler d'elle en sa dernière demeure, tandis qu'elle, me croquait en armure.
Dans la province de Giquebel, il y a petit cimetière, tout à fait charmant, situé tout en haut de la butte Une fois, c’est son nom.
Là, je préfère tout de suite vous prévenir, je réfute les propos mal intentionnés de ceux qui pourraient dire que j’invente et que je raconte n’importe quoi. Je n’ai pas pour habitude d’affabuler, d’ailleurs je manque totalement d’humour et je serais très contrariée si l’on ne prenait pas au sérieux l’histoire que je vais raconter.
Dans ce cimetière, il y avait des tombes.
Jusque là rien de surprenant, des tombes dans un cimetière il n’y a pas matière à faire une communication à l’Académie. Oui mais… Il y a un mais. N’imaginez pas que je perdrais mon temps à vous raconter un cimetière, si beau soit-il avec ses tombes de première et de dernière classe, si je n’avais pas une excellente raison !
Dans ce cimetière, régulièrement, quelques décédés regagnaient solennellement leur lieu de villégiature éternelle, du classique, avec cortège en pleurs et habits sombres.
Mais ce matin-là, de gros nuages noirs menaçaient par l’ouest et la voiture des croque-morts roulait à tombeau ouvert pour livrer son occupante, avant l’arrivée de la pluie. Enterrer un mort avec un parapluie n’est pas chose aisée et personne, pas même la famille, ne trouvait à redire à cette course digne du grand prix de Monaco, ou d’ailleurs, je n’ai pas de préférence.
Tout le monde était pressé que ça se termine, même le groupe breton déguisé en squelette venu jouer du biniou et de la bombarde exprès pour accompagner la grande Jee Bee dans la dernière étape de son voyage.
La bombarde avait joué sa sonnerie. Les chœurs avaient chanté en kan ha diskan* « Jean Marie il est malade il lui faut le médecin » (lequel médecin étant arrivé trop tard Jean Marie avait rejoint le cimetière il y a déjà quelques années,) pour le plus grand plaisir de tous les morts-vivants. Ils se tenaient à l’affût derrière leurs pierres tombales en tricotant des genoux et en claquant des dents pour ne pas en perdre une miette.
Le plus jeune d’entre eux, Frédy, qui avait été enterré avec son magnétophone portable, avaient enregistré le concert en vue de la petite sauterie prévue le soir afin d’accueillir la Grande Jee.Bee. aux initiales tourbées d’un whisky bien corsé, avec tous les honneurs dus à son rang.
La pierre tombale à peine refermée, la pluie chassa tous les vivants du cimetière, qui se précipitèrent sans plus de cérémonie dans leurs voitures respectives. À se demander si elle n’avait pas été commanditée par les résidants, ou la Grande Jee Bee elle-même, pressés d’en finir.
La Grande Jee Bee, sans attendre, partit à la découverte de son nouveau village. Elle rejoignit ses habitants qui pour l’occasion interrompirent leur sieste et ce furent des retrouvailles mémorables.
Il y avait là Jo le dégarni, toujours aussi charmeur et les phalanges baladeuses, un peu plus svelte qu’auparavant peut-être. Il avait fait le choix, pour occuper son infini, de devenir spectre parce qu’il était un tantinet voyeur et toujours prêt à faire des blagues. En comparaison avec notre monde, le spectre est en quelque sorte un artiste.
La Grande Jee Bee, qui avait un penchant non avoué pour Jo, caressa un instant le désir de devenir spectre à son tour, pour l’accompagner dans ses tournées, en ville et à la campagne. Mais son instinct lui conseilla d’étudier toutes les possibilités qui s’offraient à elle avant de se décider pour l’éternité. Elle avait le temps, mais elle n’était pas du genre à rester longtemps les deux pieds dans le même cercueil. Elle se mit donc en tête de savoir tout, absolument tout des possibilités qui lui étaient offertes, avant la fin de la nuit.
Sa vieille copine Lulu, l’écervelée, qui gloussait toujours comme une débutante, malgré ses 100 ans de vie bien tassés, quand un homme lui faisait la cour, fit mine d’être ravie de la revoir. Mais comme elle aimait Jo et que Jo aimait bien Jee Bee, elle était rongée de jalousie. Lulu n’était rien devenue car elle hésitait toujours entre devenir goule ou vampire, possibilités méconnues s’offrant à ceux qui ont passé l’arme à gauche suite à une action maladroite.
Et Lulu les actions maladroites elle connaissait…
Bref, grâce au magnétophone de Fredy, gothique convaincu durant sa courte vie, et grâce à son groupe le « Bones Atomic Blood Rock », la fête était du tonnerre. Quelques éclairs venaient égailler la partie et la pluie, auxquels tous étaient insensibles, ne risquait pas d’inciter les timbrés de spiritisme à débarquer ici pour leur cérémonie ridicule et gâcher la fête. On était garanti que cette nuit, ils resteraient calfeutrés au fond de leurs tanières avec leurs bougies.
La Grande Jee Bee retrouva son vieil instituteur, Monsieur Faribole qui coulait agréablement ses jours de retraite d’une vie bien remplie, en tant que fantôme farfadet. Il officiait sur la départementale 14, qui reliait Sainte Mâchoire à Sainte Rotule, au lieu-dit « le drap blanc » juste avant le « virage de la Mort ».
Il provoquait là, régulièrement quelques accidents sans gravité, aux vivants qui roulaient trop vite, lesquels, sans son intervention se seraient tués dans le virage de la mort alors que ce n’était pas l’heure. Monsieur Faribole expliquait à la Grande Jee Bee toute l’importance de son rôle pour éviter que les morts sans laissez-passer soient reconduits à la frontière, car cette mesure était très impopulaire et mettait le bazar dans l’éternité.
Mais la Grande Jee Bee apercevant James Dean accoudé à la grille d’entrée planta là le vieux Faribole en plein milieu d’une phrase, pour retrouver son idole. Dieu qu’il était beau, plus tout à fait vivant, mais pas tout à fait mort, il était là, un peu écaillé, un peu floppi, entre deux comme on dit, entouré d’une brume qui fit chavirer la Grande Jee Bee. James était zombi, alors la Grande Jee Bee n’écoutant que son cœur, décida de le suivre sur ce chemin scabreux reliant le monde des vivants au monde des esprits.
Ainsi, peut-on la voir, les nuits de pleine lune, lorsque les loups garous hurlent dans la campagne, arpenter avec James les trottoirs de Une fois, en quête de tréteaux où leur duo d’amour s’exprime par le blues, devant un vieux rideau dévoré par les mites.
©Adamante
*reprise de chaque phrase chantée par une voix par une autre voix donnant l’impression d’une continuité musicale.
Merci à Snow, (cliquer sur l'image pour voir son site) qui a illustré ce conte de haute
main.