J’ai beaucoup pensé à vous Grand père, ces derniers jours et j’ai rêvé de ce moment où, assise à ma table, je vous retrouvais dans l’intimité de nos échanges.
La ville m’a reprise. Les prémices de l’hiver n’ont aucun sens ici. Ils s’effacent derrière les immeubles, et les rues agitées. C’est une autre forme de vie, de confort et de facilité.
Comme ils semblent loin les esprits de la nature et si loin l’âme de la campagne.
La pluie sur le bitume n’a pas le même chant, ici le regard est limité dans l’espace, il semble plus difficile d’y aborder la rive des mystères.
Tout serait si différent sans le béton, les vieux quartiers en témoignent.
L’avez-vous déjà écoutée Grand père, la respiration de la vieille ville ?
Elle murmure à l’oreille des passants les secrets d’autres générations ; elle est le témoin discret de leur passage. Vous le savez Grand père, les vieilles villes sont des livres écrits dans la chair des pierres.
Les pierres s’éveillent à la tombée du jour pour laisser filtrer l’haleine d’un temps révolu. Ce n’est qu’aux heures de la nuit Grand père qu’elles nous offrent de pénétrer leur mémoire.
Ce savoir-là ne peut se transmettre en pleine lumière, à des non-initiés, dans le bruit et l’agitation.
La nuit est le moment le plus favorable, à la marge du réel, avec juste l’écho de nos pas dans les rues désertes, mal éclairées.
Les paroles des pierres se libèrent alors dans l’ombre. Ceux qui les guettent s’engagent dans un grand jeu de cache-cache avec le temps, qui parfois se livre et parfois se refuse.
Mais sont-ce vraiment les pierres qui s’expriment ou notre imaginaire ?
Ce qui compte après tout c’est d’écouter ce qu’une voix murmure, car il n’est pas de murmure gratuit.
Il faut de la patience pour apprivoiser le murmure des pierres, elles ne se livrent pas comme ça, au premier venu.
D’abord elles vous observent, elles vous testent en vous lançant quelques bribes de leurs secrets, et si vous les percevez ces secrets, si vous arrêtez l’instant pour les écouter, si vous vous en montrez digne, alors peut-être aurez-vous la chance d’en savoir un peu plus, une autre nuit, une autre fois.
Lorsque vous reviendrez, elles vous reconnaîtront; vous pourrez alors gagner leur confiance, vous engager sur le chemin de la découverte.
Vous entrerez dans le cercle fermé des initiés pour qui la simple image d’une rue déserte, baignée par la lueur blafarde d’un réverbère, est une invitation à passer de l’autre côté de la réalité habituelle.
Je suis de ceux-là Grand père et le quartier de Saint Méry, à Paris, qui a perçu tant de fois l’écho de mes pas sur ses pavés, que j’en oublie le nombre, peut en témoigner.
Voilà Grand père, en vous écrivant, je marche, et l’écho de mes pas résonne à mes oreilles pour accompagner mes mots.
La nuit est là et sans sortir de chez moi, je voyage.
Faisons silence et écoutons, Grand père, l’heure n’est plus au bavardage.
©Adamante
"Lettres à Grand père" dépôt SACD