Défi n° 32 à la barre
pour les
Vous connaissez la Creuse ?
Ne cherchez pas, l’air inspiré, comme si vous aviez oublié le nom quelque part dans un coin perdu de votre cerveau, je connais la réponse, alors dites-le carrément :
« Non je ne connais pas ! »
Ce que vous perdez braves gens, ce que vous perdez !
Alors je décide de pallier ce manque, et croyez-moi, la Creuse, moi je connais.
J’ai une racine là-bas, celle qui aime l’eau et l’herbe folle, qui sitôt coupée repousse comme une malade, à vous déprimer une tondeuse, l’autre préfère le maquis, le soleil et la mer... Inutile de développer !
Et pourtant, pourtant, la Creuse on en parle régulièrement à la radio. Elle est même devenue une blague pour signifier le « trou perdu de chez perdu », alors si on vous dit :
« Tu habites la Creuse ou quoi ! »
Réfléchissez par deux fois avant de réagir. Restez calmes, la colère est mauvaise pour le foie, le cœur et pire encore, et dites-vous, en votre for intérieur, que l’olibrius qui vous traite de Creusois est un inculte, une pauvre âme qui n’a pas vécu l’éveil, alors souriez-lui, en répondant :
« Oui, j’ai une maison dans la Creuse ! » avec l’air réjoui d’un anachorète.
Car en Creuse, dont le slogan national est :
« la Creuse est encore un secret pour tout le monde ! »
Vous voyez comme on le revendique, en Creuse donc, il se passe régulièrement des faits-divers particulièrement divertissants.
La bonne Ville de Guéret, chef-lieu du Département, assez froide et un peu bourgeoise, a vu une nuit un bouc, notons le choix judicieux de la bête déjà rare en campagne, s’inviter dans une laverie du centre ville.
Comme il refusait d’en sortir, il avait contraint les gendarmes à intervenir.
Était-il arrivé là, après avoir trop bu, en sortant de la boîte de nuit toute proche ?
Nul ne sait !
Mais mon enquête ne porte pas sur cet individu égaré qui fit les choux gras de France Info, chaîne de radio qui vous entraîne gratuitement à apprendre par cœur les nouvelles, si par hasard vous décidiez de vous inscrire à « questions pour un champion ».
Vous savez comme moi que tout est possible !
J’ajoute à ce préambule qu’en Creuse, on a depuis toujours de beaux crimes non élucidés, de très beaux crimes qui font, de nos jours, la Une de l’info, sur la même chaîne d’information, qui abrite, j’en suis plus que persuadée, un nid de Creusois nationalistes.
Auteurs de romans noirs, je vous livre un secret.
Dans le village de Lavaveix les Mines, entre Aubusson, capitale mondiale de la tapisserie, oubliée du monde, tant l’intelligentsia locale ignore ce que sont les mots : promotion et communication, réduisant ainsi à néant tous les efforts de Jean Lurçat, et Guéret, dont je vous ai parlé plus haut, vous aurez de quoi mener l’enquête et trouver matière noble à écrire plusieurs bouquins. Je vous garantis une mine « Agatha Christienne » non exploitée et un séjour bucolique à souhait, car la Creuse est certainement le département le moins pollué de France, et ça, de nos jours, ça compte !
Pour en revenir à mon propos, la Terre de Lavaveix les Mines, j’en suis convaincue, dégage une force pousse-au-crime maîtrisée généralement avec brio par ses habitants, ce qui les rend particulièrement respectables. Ceci dit en aparté, je possède non loin de là un refuge et vous comprendrez que je tienne à m’y assurer la paix. Cette force maléfique, tient-elle au fait que le sous-sol du village est sillonné par des galeries abandonnées depuis des décennies, à l’arrêt de l’exploitation houillère ?
Peut-être, que les esprits tourmentés de nombreux mineurs, jeunes, très jeunes parfois, ou vieux, qui ont succombé dans ses entrailles, cherchent à se venger de ce sort cruel qui touche immanquablement les exploités sacrifiés sur l’autel du profit.
Mais cela n’est que pure spéculation, filon à creuser, si les auteurs de romans noirs aiment à ajouter une once de mysticisme et de culture, sociale et anthropologique, à leurs écrits.
Après cet aperçu historique indispensable, revenons à nos moutons, je vous invite à me suivre dans la rue principale de Lavaveix les Mines.
L’histoire que je vais vous conter est réelle, comme tout ce qui se passe en Creuse et qui est relaté par la grande radio nationale des fêlés d’information.
Elle se passe en juillet.
Mimi, jeune et jolie, bien éduquée, tirée à quatre épingles avec un ravissant collier incrusté de faux diamants révélant sa nature fantasque, vient de sortir du bureau de tabac après avoir joué avec les numéros du loto de son papa. Après un bref coup d’œil à l’horloge, sans quitter le trottoir, elle s’avance pour son rendez-vous journalier chez la coiffeuse.
Comme elle est en avance elle décide de s’installer à la terrasse du bistrot, en face du salon. Elle salue le
Docteur Ka qui arrive à son cabinet, Madame Bi, la pimpante boulangère, qui part faire sa tournée, minaude quelques menus propos avec la patronne qui lui offre son traditionnel verre de
lait. Enfin elle traverse la rue, pile à l’heure pour son rendez-vous.
Elle vient faire dompter une magnifique crinière angora à faire pâlir de jalousie toutes les femmes du département. Elle sait que Madame Jo adore coiffer ces crinières sauvages qui révèlent des âmes à vous damner les saints. Elle est aussi au fait de ce qui se fait à Paris, et le salon de Madame Jo n’a pas ce côté « mémère » que l’on peut craindre à la campagne. D’ailleurs, sur Madame Jo, les années n’ont pas de prise et elle vous donne un petit air si Parisien au salon que les Messieurs, jeunes ou vieux aiment venir s’y rafraîchir le cœur et l’âme en même temps que la tignasse. Quant aux dames, elles ressortent de là satisfaites, chacune trouvant coiffure à sa tête, dans une ambiance joyeuse ce qui ne gâte rien.
Les soucis, les peines, les chagrins, Madame Jo les planque sous ses plaisanteries et sa bonne humeur et en bon capricorne, elle bosse dur et assume son ouverture d’esprit, sans jamais vraiment se dévoiler.
Pendant que Madame Jo la coiffe, Mimi, sous des airs prudes cachant un sacré tempérament, a le temps de réfléchir encore et encore à sa prochaine emplette à la pharmacie.
Mimi quitte le salon, belle comme un cœur ayant rencontré une paire de pattes pour porter plus rapidement le trouble dans les esprits.
Après un bref instant d’hésitation devant la porte en verre coulissante, elle entre, comme un chevalier entre en guerre, bien décidé à ne pas se faire tuer.
Chose rarissime, méritant d’être notée, l’officine de Monsieur Fa est vide.
Il arrive tout sourire de son arrière-boutique où il était occupé, ganté, à fabriquer une potion. Et découvrant Mimi, il retient son envie d’avancer la main pour caresser cette crinière qui est une incitation à la débauche et le plus gentiment du monde, il l’invite à s’approcher.
Mimi, terriblement féline, plus ou moins inconsciente de la charge érotique qu’elle dégage, avance avec le pas chaloupé d’une grâce descendue de son piédestal et pose ses petites mimines tremblantes sur le comptoir.
Elle cligne deux ou trois fois des paupières sur ses grands yeux étoilés et pour se donner du courage, toussote, se hausse sur la pointe des pieds, module quelques miaulements et dit d’une petite voix à peine audible :
« Bonjour Monsieur Fa, je voudrais des pilules contre matou ! »
Monsieur Fa, « tournezingué », s’écroule alors derrière le comptoir, il a perdu connaissance.
Mimi, affolée, pense que la main de la déesse Bastet vient de faire tomber la foudre sur son audace en ôtant peut-être à la vie Monsieur Fa.
Heureux hasard, si vous croyez au hasard, c’est alors que le docteur Ka, qui a un besoin urgent de seringues pour son cabinet, entre, et tombe à pic pour administrer deux claques bien senties au pharmacien blême, étendu derrière son comptoir.
Il faut avouer que la chaleur de cet été torride n’arrangeait pas les choses.
Pendant qu’il reprend ses esprits, en hoquetant au docteur Ka, ce qui permit à ce dernier de diagnostiquer une insolation :
« Elle parle, elle parle, je vous le jure, elle parle ! »
Mimi, qui s’était tassée dans un coin en espérant disparaître, glisse sans faire de bruit vers la porte et une fois sortie se met à courir dans la rue pour rejoindre la maison paternelle.
Alors, l’air de rien, pour récupérer de son trouble, elle s’enroule confortablement sur le canapé où elle fait mine de dormir tout en surveillant d’un œil la porte d’entrée.
Croyez-vous que cette fauteuse de trouble fut le moins du monde inquiétée ? Pas du tout !
Par contre Monsieur Fa écopa d’une bonne semaine de repos avec interdiction formelle de se vautrer au soleil, afin de se remettre de ses hallucinations.
Oui, je vous le dis, la Creuse est un département à part et cette chronique véridique et n’a rien d’exceptionnel.
Je ne citerai pas mes sources, mais elles sont sûres.
Où croyez vous donc que Monsieur Jean de La Fontaine ait puisé son inspiration ?
Dans la Creuse bien évidemment, dans la Creuse !
« Petites chroniques de la Creuse secrète » ©Adamante