DEFI n° 28
Avertissement : j'avoue ne pas avoir respecté les règles, n'avoir pas fait le ménage de printemps et n'en avoir aucun remord.
Mais vous le savez : je ne suis pas sage ! Alors...
Alors, une fois dans le grenier, je me suis mise à rêver et à parler à Grand père, tout le reste a disparu et, j'ose le dire : j'y ai trouvé un immense plaisir.
T’en souviens-tu du grenier de grand père, Grand père ?
L’entrée de mon refuge se trouvait dans la chambre de mes parents, au premier étage.
Dès la porte refermée, l’odeur, si particulière aux lieux ayant une vie propre, entre poussière et cire d’abeille, m’accueillait.
Quel ravissement, l’adrénaline aventurière m’extrayait soudain du monde habituel et le temps s’arrêtait.
Après une volée de marches grinçantes grimpées à toute hâte, je débouchais dans le temple aux trésors.
Là, je prenais le temps de m’arrêter pour embrasser du regard l’ensemble de mon domaine.
Suspendu à une poutre, je voyais tout d’abord l’extracteur dont grand père se servait pour récolter le miel de ses ruches. J’aimais ce gros cylindre qui prenait vie une fois l’an pour nous offrir le soleil des abeilles et des fleurs, ce ruban d’or qui s’écoulait plein de promesse pour le palais.
En face, quelques cannes à pêche, des filets et des lignes de fond attendaient sagement, accrochés à de gros clous de charpentier, plantés dans l’épais mur de pierres, la main qui depuis peu ne venait plus les décrocher.
L’âge met fin aux expéditions matinales des plus intrépides et c’était mon plus grand regret. J’avais tant rêvé de partager ces aventures alors que j’étais trop jeune…
Souvent je caressais les mailles des filets en imaginant les petits matins humides de rosée, le clapotis de l’eau accompagnant le mouvement cadencé des rames ; je voyais le filet se déployer lentement derrière la barque, dans le silence qui précède le lever du jour. J’y étais, j’engrangeais des sensations, je vivais d’imaginaire. Je construisais mon âge adulte.
Tout au fond, près de l’angle d’où partait une grosse poutre du toit, cachée dans une vieille
malle en bois et protégée par de vieux tissus inutiles, dormait une mandoline désaccordée, accompagnée de son recueil de musique. Qui, un jour, dans la famille, avait bien pu jouer de cet
instrument ?
Le prenant dans mes bras, j’ouvrais le livre près de moi, je m’asseyais sur la malle, pinçais une corde et je m’imaginais cet ancêtre inconnu, initié à la musique.
Il y avait un bal, des dames de l’ancien temps, à la taille fine, vêtues de longues robes et d’écharpes brodées, parées de merveilleux bijoux, resplendissaient dans les lumières. Elles dansaient avec des Messieurs distingués, en tenue sombre et pochette blanche, qui les mettaient en valeur.
Mon ancêtre était là qui jouait dans l’orchestre, sur l’estrade, dans un coin du salon.
Parée moi-même de quelques oripeaux, dont un vieux boa de plumes noires qui me faisait éternuer, j’esquissais quelques pas de danse et virevoltais avec délice, tenant entre mes mains les manches d’une vieille veste d’homme, mon cavalier.
À un moment, las de danser, nous nous interrompions pour prendre le thé, dans un vieux service ébréché abandonné à la poussière dans un coin du grenier, une pure merveille.
Je jouais d’un vieil éventail mité et nous échangions quelques propos sans importance en faisant mine de nous amuser. Quelles merveilleuses réceptions c’était là ! Un vernis à faire pâlir d’envie les images d’Épinal.
J’étais enfant, c’étaient là mes trésors, mais ceux qui m’étaient les plus chers, ceux qui m’accompagnent encore dans un rayon de ma bibliothèque, deux tomes des Mille et une nuits de Jean Charles Mardrus.
Combien d’heures ai-je passé à feuilleter ces pages, à voyager dans les formes et les couleurs de ces enluminures magnifiques ?
J’en ai gardé le goût du beau, le goût du rare, le goût de la phrase bien faite, le goût du retirement que nous offrent les livres, loin du bruit et de l’agitation.
Tous ces trésors vivent en moi Grand père, personne ne pourra me les enlever, ils sont miens à jamais.
Voilà Grand père, refermons doucement la porte pour ne pas réveiller les ombres qui peuplent aujourd’hui mon refuge.
©Adamante