Je me dois de raconter l’avant
Avant lui
C’était un parfum très cher
Un top
Le top qui vous habille
Qui vous habille d’un rien
La petite goutte qui fait que vous n’êtes plus nue
Pas le style de goutte qui fait déborder le vase
Pas du tout, vous plaisantez
La goutte, avec un L majuscule
La particule de goutte
Arrivé à ce niveau-là ça ne déborde pas
Même à Dubaï
Surtout à Dubaï (essayez donc de vous habiller d’une simple goutte là-bas !)
Bref !
Cette goutte-là, c’est La goutte qui classe !
Une odeur à vous faire croire que vous êtes Marilyn
Mais vous n’êtes pas Marilyn
Vous le savez
Vous n’en avez même pas envie
Vous êtes vous
Et ça vous convient
Pourquoi ça ne vous conviendrait pas ?
On se le demande
Il y a de la place pour tout le monde
Mais il arrive parfois que l’on rêve
Que l’on s’identifie à l’image qui vous fait rêver
Simplement, sans chercher plus loin
Seulement voilà
Vous n’êtes pas la seule
Il y en a plein d’autres comme vous
Ce qui fait que parfois
Des troupeaux de Marilyn déambulent dans le désert
Dans le désert de votre originalité
Et vous vous dîtes que vous aimeriez bien vous différencier du lot !
Tenez
Moi qui vous parle
Un soir, j’étais allée au spectacle
J’avais mis la goutte pour ne plus être nue
Je m’étais installée dans mon fauteuil numéroté
Pour assister à la représentation du Rocky Horror Picture Schow
En live s’il vous plait
J’avais quelques craintes par rapport au film
Mais ces craintes furent vite balayées
Les comédiens, très british, étaient extraordinaires
Allez donc chanter et danser, vous !
Faire la roue
À l’aise
Avec des talons aiguilles de vingt cinq centimètres !
Le spectacle fut une réussite
D’autant plus que j’ai passé toute la soirée derrière une fille
Parfumée avec un parfum qui m’était inconnu
Cette sorte de parfum troublant, envoûtant
Comme on imagine le parfum de la Dame en noir
Celui du fantôme de l’Opéra
Un parfum qui efface tous les autres
Un parfum du type de celui qui vous ferre pour ne plus jamais vous lâcher
Cette odeur, naturellement, je l’ai associée au Rocky
Elle est devenue une fragrance d’apparat digne d’un mythe
Les scènes se succédaient bercées par ses volutes
Qui me mettaient l’âme et le cœur à l’envers
La séduction, l’androgynie y furent associées
La folie, la provocation, le spectacle, la démesure
Tout un feu d’artifice de sentiments totalement décadents l’accompagnèrent.
Et puis…
Et puis tout a une fin…
À la fin du spectacle
C’est stupide, je le sais,
Je suis partie sans poser La question
Celle avec un L majuscule
L’unique question valable
Que j’aurais dû poser
Et que je n’ai pas posée…
Je suis partie sans demander le nom de cette merveille !
On a parfois comme ça des accès de timidité totalement incompréhensibles
Et qui vous grèvent votre vie de remords stériles
Un jour pourtant
À deux années de-là, au moins,
Un soir, à Buenos Aires
Voilà que je le rencontre de nouveau
C’était Lui
Revenu comme un enchanteur
Lui que j’avais vainement cherché en humant toutes les boutiques
Lui, que j’avais désiré plus que tout
Lui qui, je le savais, me vêtirait d’une simple goutte
Lui qui me ferait ressembler à moi, enfin !
Lui qui me révèlerait
Lui, qu’aucun troupeau de Marilyn n’arborait
Lui, le secret si bien gardé
Lui, la merveille des merveilles du monde
Il était là
À côté de moi
Assis à la table voisine…
Craignant peut-être que celle qui le portait se volatilise
Je me levais d’un bond et, envoyant au diable toute bienséance
Je lui dis :
- Madame, veuillez m’excuser, mais quel est donc cet étrange parfum qui vous habille ?
Elle me répondit amusée :
- Élixir, de Clinique !
Élixir ! Le parfum aux vertus magiques portait le nom d’Élixir !
C’était un signe !
Ma patience, ma confiance, mon entêtement étaient récompensés
J’allais enfin être initiée…
J’allais enfin devenir à mon tour émanation de sa splendeur
Il allait enfin m’enrober de son mystère
Me draper de sa démesure
Et me hisser à la mesure de ma propre démesure, totalement démesurée !
Et depuis ce jour, entre nous
C’est à la vie…
À la mort…
déposé SACEM