Vous savez ce que c’est !
Quand un air vous trotte dans la tête, comme ça,
Un air qui, allez savoir pourquoi, vous obsède
Un air qui vous tient pour ne plus vous lâcher
Et souvent plus il est bête, plus il vous tient.
C’est comme ça, c’est totalement incompréhensible !
Mais c’est avéré
Tu passes l’aspirateur, il est là
Tu téléphones à ton banquier, pour lui expliquer ton découvert, il est là
Il se moque du quart comme du tiers
Il te prend la tête au moment où tu en as le moins besoin !
Eh bien !
Le dernier dans le genre
À être venu frapper à mon oreille
C’est l’air du petit ver de terre.
Ne me dîtes pas que vous ne connaissez pas !
C’est impossible !
Tout le monde connaît cet air-là !
Vous n’allez pas maintenant m’obliger à l’écrire !
Si ?
Eh bien… Eh bien là !
Eh bien là …
On peut dire que de Napoléon le premier à Napoléon le quatrième
La culture populaire en a pris un sacré coup !
Cela dit sans vouloir vous vexer !
Allons… Faites un effort !
Si je vous dis : « C’est la grue… »
Ça ne vous rappelle rien ?
Non… Bon ! tant pis !
J’espérais y échapper…
Mais enfin !
Puisque vous m’y obligez, voilà les paroles :
« C’est la grue
qu’a pas pu manger cru
le petit ver de terre
C’est la grue
qu’a pas pu manger cru
le petit ver tout nu »
Vous vous rappelez maintenant ?
Peu importe ! de toute façon
Que vous connaissiez ou non
Vous allez me dire :
-Y’a pas vraiment là matière à faire un poème ou une dissertation !
Soit ! Je suis d’accord !
Mais tout de même !
Tout de même !
Quand on y réfléchit
Quand on y réfléchit, ne serait-ce que quelques secondes
Quand on y réfléchit comme il faut y réfléchir
On peut se demander à juste titre
Pourquoi la grue
La grue qui a tout pour le faire
Le bec, les griffes, et tout et tout
Pourquoi la grue l’a pas pu manger cru le petit ver tout nu ?
Ça c’est une vraie question !
On ne peut pas le nier tout de même !
Je n’ai pas pour habitude de me poser des questions qui n’existent pas !
Oh… Je vous entends…
Vous allez me rétorquer
Que si j’avais eu connaissance des autres couplets de la chanson
Je connaîtrais certainement la réponse
Peut-être
Mais rien n’est moins sûr !
Qui me dit qu’il y a d’autres couplets d’abord ?
Moi, je ne connais que ces deux-là
Et celle de qui je les tiens
N’a jamais fait que les répéter, sans jamais rien ajouter de plus
Durant une année entière, sans se lasser
Sans jamais faire allusion à une quelconque suite.
Là, vous pourriez me dire :
-Pourquoi ne lui as-tu jamais demandé la raison pour laquelle
la grue l’a pas pu manger cru le petit ver tout nu ?
C’est vrai, c’est vrai…Je suis obligée de le reconnaître
Je reconnais, j’aurais pu
J’aurais pu, mais je n’y ai pas pensé
Je ne me posais pas la question !
Nous avions dix-huit ans
Nous étions insouciants
Nourris de Boris Vian avec poule sur mur
Et nous chantions ce petit air en chœur
Persuadés de faire de l’humour
Un humour, qui à nos yeux, pulvérisait le second degré.
À ce moment-là, on se moquait bien de savoir
Pourquoi la grue l’avait pas pu manger cru le petit ver tout nu !
Ces simples paroles nous transportaient à des sommets
À des sommets intellectuels où les questions mesquines du quotidien n’avaient aucune place,
Des sommets où nous pensions faire preuve d’intelligence
Et aucun de nous n’avait jamais évoqué la question
Jamais…
Ignorants que nous étions !
Nous ne nous doutions pas que plus tard
Bien plus tard
Quand les années seraient passées par là
Au détour d’une pensée
La question allait soudain s’imposer
Envahissante au point de la mettre en ligne…
C’est comme ça tout au moins que ça c’est passé pour moi !
Avant que d’en arriver à ce dernier recours
J’ai bien tenté de donner une réponse
Une réponse logique :
La grue avait peut-être, au dernier moment,
Aperçu un met plus délicat
Un peu plus loin de-là où se tenait le petit ver tout nu
Et dans sa tête de grue
Elle avait pu penser :
-« Je vais attraper le meilleur, je reviendrai chercher le petit ver après… »
Mais… Quand elle était revenue
Pfft ! plus de petit ver !
Il s’était mis à l’abri !
Tous les vers ne sont pas des imbéciles !
Il avait pu penser :
-« Coco, faut pas traîner dans l’coin, ça craint ! »
Et il s’était caché.
C’est peut-être comme ça que ça s’est passé !
Mais on ne peut pas en être certain
Ça n’est jamais qu’une hypothèse
Rien de plus !
Ça ne s’est peut-être pas du tout passé comme ça !
Le ver était peut-être encore plus malin
En voyant arriver la grue
Il avait pu se glisser sous des branchages
Pour se confondre à eux
Ou encore
Il avait pu rapidement se faufiler dans l’herbe
Parce qu’il avait plu
Parce que lorsqu’il a plu
C’est plus facile pour un ver de glisser dans les herbes que de creuser la terre pour s’y cacher
Et la grue en s’approchant n’avait peut-être pas pu le voir
Tout caché qu’il était dans les herbes,
Le cœur tremblant en pensant :
«Ô grand ver tout puissant, faites qu’elle ne me voit pas ! »
Et elle était restée là
Gros Jean comme devant
L’estomac vide !
Je voudrais bien vous y voir, vous
Ce n’est pas facile quand on est une grue
De gagner sa pitance !
Une hésitation
Un simple état d’âme
Et la nourriture fout le camp !
C’est le jeûne assuré !
Moi qui vous parle
J’ai tourné le problème dans tous les sens.
Tourné, retourné, rien trouvé !
Aaah… Je ne sais pas si je dois en parler…
J’ai bien émis une autre hypothèse
Une hypothèse qui vaut ce qu’elle vaut !
Je vous aurais prévenus
Une hypothèse un peu tirée par les cheveux sans doute
Mais vous en conviendrez
Une hypothèse, quand on a rien
C’est mieux que rien !
C’est toujours ça !
Tenez !
En admettant que la grue et le petit ver tout nu
Ne soient pas ce que l’on pense qu’ils sont…
En admettant qu’ils soient autre chose…
Vous me suivez ?
Là, il y a plein, plein, plein, de bonnes raisons
Qui justifieraient que la Grue ait pas pu manger cru le petit ver tout nu.
Bien sûr, je n’ose pas trop entrer dans les détails
Vous me comprenez !
Je n’ose pas trop entrer dans les détails
De crainte de la censure pour propos scabreux…
Vous me direz, et vous aurez raison :
« Depuis qu’on a chanté « Annie aime les sucettes »
On peut bien chanter la chanson de la grue !
Et en penser ce que l’on veut !
Deux lectures et tout le monde est content ! »
En tout cas
C’est peut-être la vraie réponse, celle-là :
La grue et le petit ver tout nu ne sont peut-être pas,
En effet, ce que l’on pense qu’ils sont !
Et dans ce cadre un peu particulier
On pourrait fort bien supposer que le petit ver n’était pas en forme
Qu’il était malade, pourquoi pas ?
Et que la grue n’était peut-être pas très convaincue.
Imaginons qu’elle s’appelait Annie, ce qui n’est pas impossible
Et qu’elle ait mangé trop de sucettes
En voyant le petit ver tout enchifrené de fièvre
Rampant et se traînant, paupières tombantes
Elle n’en avait pas eu envie, tout simplement
Et elle avait passé son chemin…
Mais ça c’est encore une autre hypothèse !
Comment savoir la vérité…
Comment savoir pourquoi la grue l’a pas pu manger cru le petit ver tout nu ?
Je crains que personne ne puisse le dire !
J’ai beau tourner le problème dans tous les sens
Le mystère reste entier.
©Adamante
une réponse qui se cache dans le filet d'une onde claire... c'est ici : ICI