DEFI N°36
Etant donné que je suis une "femme de théâtre" (c'est ainsi qu'aimait me présenter Sergio Ortéga), que j'ai beaucoup écrit pour mes cours et mes spectacles, je ne pouvais pas ne pas publier sur le thème de ce lundi chez LES CROQUEURS DE MOTS
Je vous livre donc ce petit amusement autour d'un naufrage, et qui n'a ni queue ni tête.
DISTRIBUTION :
Le PATRON : Chef des Rats, un baroudeur, un dur
MARCEL LE BELGE : Rat Belge
RITON DU MIDI : Rat du Midi
DÉDÉ LE BÈGUE : Rat Bègue
GASPARD LE SUSPICIEUX : Rat Suspicieux
LULU DE VENISE : Rat Vénitien, alcoolique
JACKY LE PRÉCIEUX : Grande folle
PHIL THE TEA : Rat Anglais
GÉGÉ LE FAYOT : Rat Fayot
BÉBERT PETIT EINSTEIN : Rat Savant
COCO LE BORNÉ : Rat Borné
FIFI LE SSSUAVE : Rat qui siffle ses « s » comme un serpent
Sur scène, le Patron et Marcel
Le Patron : Eh Riton ! Oublie pas l'fromage !
(une voix, avé l’accent, répond en coulisse) O K Patron !
Marcel le belge : Eh Patron, dîtes lui aussi d'prendre les nouilles, une fois !
Le Patron : Les nouilles ?
Marcel le belge : Ben oui ! Les nouilles !
Le Patron : On quitte le navire dans un canot de sauvetage et tout ce que tu trouves à dire c'est « oublie pas les nouilles ! » Les nouilles ! Et pourquoi pas l'camping gaz pendant qu'tu y es ?
Marcel le belge : Ça c'est pas la peine, j'lai déjà rangé dans la malle !
Le Patron : T'as rangé l'camping gaz dans la malle ?
Marcel le belge : Ben oui j’lai rangé dans la malle ! Fallait pas ?
Le Patron : (rouge, prêt à exploser) Retenez-moi, dîtes-moi que je rêve ! Je vais en faire de la bouillie de cet ahuri ! (à Marcel) Où c'que tu vas la mettre la malle sur le canot hein ? Elle est plus grande que lui !
Marcel le belge : Ben ça c'est vrai Patron, j'y avais pas pensé !
Le Patron : (regardant vers le ciel en serrant les poings) Retenez-moi, je vais faire un malheur, j’ai des envies de meueueueuertres !
Dédé le bègue, arrive.
Dédé le bègue : Ppp-ppa-pa-tron, imppppossible dddde trouver la trousse à phaffffaffafarmacie !
Le Patron : Marcel va t'aider à la chercher, ça lui évitera de penser !
Marcel le belge : C'est pas la peine Patron, la trousse à pharmacie elle est dans la malle prête à partir !
Le Patron : Dans la malle ? Encore ? Sors la immédiatement !
Marcel le belge : C'est que... Patron... la trousse à pharmacie, elle est tout au fond, sous la vaisselle et les couvertures... J'avais pensé que... euh...
Le Patron est anéanti. Il s'assied. S'essuie le visage avec son mouchoir.
Il s'adresse dans un souffle à Dédé.
Le Patron : Appelle les autres !
Dédé le bègue : (il hurle) Tttttous les rats sur le ppppont !
Tous les rats arrivent en courant, grande bousculade.
Le Patron se lève de méchante humeur les regarde un instant en silence et hurle à son tour.
Le Patron : Gaaaaaaarde à vous !
En une joyeuse panique, les rats se mettent au garde à vous.
Le Patron : (Excédé, parlant très, trop lentement) Comme vous pouvez le constater, je suis calme... Je vais même être très très très gentil. Vous le savez, en bons rats que nous sommes, face au danger, nous quittons le navire !
Tous (en un bel ensemble joyeux) : Oui, Patron !
Le Patron : Bien ! Nous quittons le navire parce qu'il va couler ! Vous le savez, n'est-ce pas ?
Tous : Oui, Patron !
Le Patron : C'est bien ! Vous avez donc fait, je l'espère, tout le nécessaire ainsi que je vous l'avais demandé ! C'est-à-dire : une tenue de rechange dans le sac à dos ainsi qu’une trousse de survie !
Il prononce cette phrase en montant en intensité vers l’aigu.
Tous (vaguement hésitants) : Non, Patron !
Le Patron (stupéfait par la réponse) : Non ? (les autres font signe que non) Non ? Comment
ça
non ?
Ils répondent tous à la fois, c'est à n'y rien comprendre.
Seul Marcel se tait…
Tous ensemble :
Riton du midi : Ô peuchère, patron ! on trouve plus rien ! Et quand on dit rien c'est rien, sans blague ! Faut pas me dire que je suis devenu fada, quand je dis qu'y a rien, y a rien, je l'ai vu !
Gaspard le suspicieux : Ça c'est vrai ! C'est pas croyable mais y a plus rien ! Rien! Si c’est pas bizarre ça ! Rien ! Rien ! Rien nulle part ! Rien du tout ! J'ai rien trouvé nulle part ! C’est pas normal !
Dédé le bègue : Chchchchchcerche quqqqqque tu cherches on tttttttrouve rien ! J'ai ttttout remué rien ttttrouvé ! Bbbbizarre, Bbbbizarre !
Lulu de Venise : Mi'o go' sempre dito che ghe z'era on bordel sur ce bateau ! 'O go' sempre dito ! Je l'ai toujours dit ! E nissoni me ga' mai scolta'! Personne ne m'a jamais écouté ! Ma 'o ripeto par tutti, ripeto ! Il faudra bien qu'un jour où l'autre on m'écoute ! Gavari da iscoltalto lulu de Venesia, che sarea mi ! Vous allez l'écouter l'Italien ! 'O ripeto ! Ripeto ! etc.
Jacky le précieux (avec de grands gestes de la main suivis par de petits mouvements gracieux du corps) : Ya des rigolos y z-ont tout planqué ma parole ! Ça alors hein, c'est pas drôle! Y z-ont fait ça dans notre dos, par derrière, comme des lâches, rien que pour nous embêter, j'en suis sûre ! Eh bien c'est pas drôle ! C'est pas drôle du tout ! c’qui sont bêtes !
Phil the tea : My God ! Ô shit ! Nothing ! Quelle galère ! Five o'clock, my tea, my God ! The tea, qui nous fera le tea désormais patron ?
Gégé le fayot : Patron, y a vraiment plus rien, à mon avis, il vous faut quelqu'un de confiance pour mener l'enquête, sinon on ne trouvera rien ! À vos ordres patron ! Vous pouvez compter sur moi ! (il se met au garde à vous sur la dernière phrase)
Bébert petit Einstein : Y a plus rien, c'est un fait, mais soyons philosophes. Étant donné la matière, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! On a encore toutes nos chances de retrouver quelque chose !
Coco le borné : Moi j'étais d'vigie quand on m'a dit qu'y avait plus rien ! Eh bien, si y a vraiment plus rien, c'est bien embêtant, ça oui ! C'est bien embêtant !
Fifi le sssuave : Juste ciel ! Ça, c'est pas possible ! Nul ne sait où sont passées toutes ces choses! Pour sûr, ça c'est certain, c'est un coup du sort ! Mais qu’est-ce qu’on va devenir ?
Le Patron : Silence ! Un seul à la fois s'il vous plaît !
Chacun répète à son tour la précédente réplique,
bouillant d’impatience de parler pendant que l’autre parle.
Pendant ce temps Marcel s'est fait tout petit
il semble vouloir disparaître à la vue des autres.
Le Patron l'interpelle.
Le Patron (trop calme, les yeux comme des lance-flammes) : Marcel ! Mon petit Marcel ! Viens donc un peu voir ici !
Marcel le belge : Oui, Patron !
Le Patron : Tu n'as rien à dire ?
Marcel le belge : C'est que... Non !.... Enfin... peut-être... Si... tout est dans la malle.... sous les couvertures et la vaisselle... bien calé au fond...
Le Patron :
Ô rat ! Ô désespoir !
Ô Marcel, ahuri !
N'as-tu donc tant vécu que pour ces pitreries
Et n'as-tu tout planqué par dessous la vaisselle
Que pour faire couler notre pauvre escarcelle ?
Marcel le belge :
Pardonne-moi, Patron ! Ai pitié de Marcel !
Car je ne voulais pas que le sort en fut tel !
Le Patron : (s'adressant aux autres rats) Vous, dépêchez-vous, on est déjà en retard ! Videz la malle, prenez le strict nécessaire et rendez-vous ici dans cinq minutes !
Tous (en se précipitant vers la sortie) : Oui, Patron !
Le Patron : (à Marcel qui suivait les autres) Marcel ! Reste ici ! Ne bouge plus, tu entends ?
Marcel le belge : Oui, Patron ! (Un long silence) Dîtes Patron, (silence) j'ai cru bien faire !
Le Patron : Et tais-toi ! Tais-toi ou je te tairais pour de bon, dé-fi-ni-ti-ve-ment!
Marcel se tait. Il s'est éloigné et contemple l'horizon (le fond de la salle). Soudain la surprise marque son visage. Il se retourne vers le Patron qui le regarde avec son air des mauvais jours, il va pour parler et se ravise. Il regarde à nouveau vers le large, il fait un geste vers le Patron avec l'intention de parler, mais sous le regard peu amène du patron il se ravise une seconde fois. Il laisse son regard désespéré errer sur le lointain, comme s'il suivait quelque chose des yeux, sa bouche s'ouvre, aucun son n'en sort. Les autres arrivent avec leurs bagages en chantant sur l'air des gars de la marine.
CHANSON :
LES RATS DE LA MARINE
C'est nous les rats de la marine
Rats hardis et valeureux
On n'a jamais froid aux yeux
Ravis, radieux et bonne mine
Quand on quitte le bateau, oui le bateau
C'est qu'il prend l'eau.
Tous (avec grande pagaille) : Voilà, Patron, nous sommes prêts !
Le Patron : Au canot, il n'y a plus une seconde à perdre ! Riton passe devant pour charger les bagages !
Riton sort en coulisse, les autres attendent avec leurs paquets.
On entend soudain la voix de Riton .
Riton du midi : Ah Seigneur ! Sainte Mère ! Y a plus de canot, Patron ! Vé !
Le Patron : Plus d’canot ? Comment ça plus d'canot ?
Riton revient essoufflé.
Riton du midi : C'est comme je vous dis Patron ! Y a plus de canot ! Ô peuchère, y a plus de canot, dis !
Tous : Plus d'canot ?
Ils se retournent d'un même ensemble vers Marcel. Un silence.
Le Patron : (s'approche menaçant de Marcel) Tu ne vas pas me dire que tu l'as rangé dans une malle ?
Marcel le belge : L’canot c'est pas moi ! J'y ai pas touché au canot ! Je sais où il est patron, mais j'l'ai pas touché ! Je vous l'jure !
Le Patron : Où il est le canot ?
Marcel le belge : (Il montre l'horizon) Là-bas !
Le patron apercevant le canot au large s'approche avec un regard fou de Marcel , comme s'il voulait l'étrangler. Marcel prend peur et recule.
Le Patron : Tu pouvais pas l’dire plus tôt ?
Marcel le belge : J'voulais l'dire ! J'voulais l'dire mais vous m'aviez interdit d'parler ! J'voulais pas qu'vous m'taisiez pour de bon définitivement moi ! Bien qu'maintenant ça r'vient un peu au même ! R’gardez ! C'est l'capitaine et son équipage, ils ont filé avec le canot, une fois ! Comme je vous l’dit !
Tous sont sur l’avant scène à regarder le fond de la salle.
Lulu, totalement ivre, s’exprime comme une pleureuse Sicilienne en levant les bras au ciel,
en même temps, on entend quelques répliques toutes mélangées :
Lulu de Venise : « Ôôôôô… mama mia ! Mi'o go' sempre dito che ghe z'era on bordel sur ce bateau! » Ôôôôô…
Phil the tea : « Ô my God ! Ô my God »
Riton du midi : « Ô bonne Mère, ça alors ! Si je les tenais… Si je les tenais, je…»
Le Patron : « C'est d’ta faute Marcel » (bruit de coups) « C’est d’ta faute ! »
Marcel le belge : « Aie aie aie c'est pas d'ma faute patron ! J’voulais vous l’dire… »
Dédé le bègue : « Quéquéquéc'quon va ddddevenir' pattttron ? »
Jacky le précieux : « Maman au secours ! J’veux pas mourir ! J’veux pas mourir !»
Bébert petit Einstein : « Ça c'est un sale coup ! Car si on tient compte des probabilités c’est
foutu ! Ouaih ! c’est foutu de chez foutu !»
Coco le borné : « J'veux descendre ! J’aime pas l’eau ! J’veux desceeeeeennnnnnndre !»
Gégé le fayot : « J’ai vu une planche Patron, j’crois bien qu’on peut y tenir à deux… »
Gaspard le suspicieux : « Je l’savais, c’te teigne de capitaine nous a fait une saloperie
d’entourloupe ! »
Fifi le suave : « cccciel, ccc’essst ssssans isssssue ! Sssans isssssue !
©Adamante