Dans le sous-bois, ça sent la faim et l’instinct de survie et, avec l’humidité ambiante que l’on y pressent, le froid y est hostile.
La bête des légendes a toujours sa place dans l’ombre et bien que notre humanité se pense loin de ses instincts primaires, leur réminiscence vient cogner à la porte de mon esprit.
Il y a de la nostalgie dans ce paysage, une nostalgie qui jouxte une certaine terreur.
Les dents du mystère claquent dans les zones méconnues de mon âme, je frissonne.
La nuit arrive, le train alterne vitesse et rythme paresseux au passage des gares .
Il me roule, me berce, se déroule et semble glisser. Je glisse avec lui à la rencontre de ces lumières que
très vite nous dépassons.
L’homme a peuplé les ténèbres de couleurs; c’est une impression féerique de les observer danser le long de la voie. Point, trait, point, trait..
En fixant le regard au plus près du ballast, la nuit se zèbre de traits lumineux, la vitesse réduit tout à la droite lorsque le regard se refuse à jouer avec la profondeur de champ.
Mais l’exercice est fatigant, je baisse un instant les paupières, le temps que s’efface le souvenir des segments éblouissants qui hantent ma rétine.
Lorsque je rouvre les yeux, nous plongeons dans les ténèbres d’un long tunnel.
La vitre se fait alors miroir où mon visage se reflète ; déroutant spectacle !
«Là, c’est toi!» me murmure une petite voix intérieure.
C’est comme si je me voyais pour la première fois, je suis troublée.
Ce reflet laisse entrevoir une vérité qui m’échappe, et voilà que l’image menace de m’engloutir et de me faire disparaître.
Mal à l’aise, je regarde devant moi le siège vide. Je me sens brutalement très seule.
Si seulement tu étais là Grand père, en face de moi, roulant dans la même direction!
Nous échangerions un sourire et je me sentirais rassurée.
J’essaie de t’imaginer, de conjurer ce vide en moi.
Je sursaute !
-à quoi penses-tu ? me demande l'homme qui m'accompagne.
- à rien de précis !
Ce serait trop long de lui expliquer et je n’en ai pas envie.
Il m’observe, semble hésiter puis reprend sa lecture.
Mon regard vacille sur ce fauteuil où tu n’es pas et je sens que le reflet de la vitre m’interpelle. Je ne veux pas lui céder, il faut que je réussisse à t’imaginer, là en face de moi et faire taire cette voix qui insiste : -qui es-tu ? -qui es-tu ?
Je sais que je dois affronter ce reflet improbable qui me donne le vertige, que c’est le seul moyen de l’apprivoiser.
À trois, je l’affronte : un –deux –trois -
Je regarde la vitre, c’est la fin du tunnel, de nouveau les arbres, les petites lumières qui cavalent dans la nuit.
Je soupire, ferme les yeux et sombre dans l’absence. AD