Mots de tête n° 26
L’enterrement du Papé
La petite Marie adorait voir jardiner son grand père
Elle était là, attentive et babillarde
À lui tourner autour comme une mouche à miel
C’était comme ça qu’il appelait les abeilles le Papé
Et c’était comme ça qu’il appelait Marie aussi.
Quand elle commençait à le fatiguer
À toujours être là où on ne l’attendait pas
Au risque de recevoir un mauvais coup avec un outil, il lui disait :
« File et que je ne te vois plus, tu es pire qu’une pierre,
Tu empêches mes salades de pousser ! »
Il avait fallu qu’il lui explique tout du jardinage :
« Le bêchage, le ratissage, la mise en terre des graines, l’arrosage
Pourquoi il fallait éclaircir, les outils, l’importance de la terre, celle de la lune… »
Bref tout ce qu’il était indispensable de savoir.
Et elle avait retenu tout cela bien mieux que ses récitations.
Mais le Papé, très âge et fatigué,
Un matin ne s’était pas réveillé.
Fini le jardinage !
« Il avait rendu l’âme ! » avait dit sa mère,
Pour expliquer à Marie qu’il ne se lèverait plus.
Son Papé avait rendu l’âme !
Elle lui plaisait cette expression à Marie : « rendu l’âme »
Elle avait un « je ne sais quoi » de mystérieux qui l’intriguait.
Marie avait bien une vague notion de ce qu’était qu’une âme
Mais elle se demandait à qui il pouvait bien l’avoir rendue cette âme, le Papé.
Et ça la préoccupait.
Vint le jour des funérailles.
La veille, on avait mis le Papé dans une grande boîte
Un cercueil lui avait dit sa mère
Et les voisins avaient défilé devant
Chacun aspergeant la boîte d’eau bénite
Avec un goupillon que le curé avait laissé là à cet usage.
Il avait bien évidemment fallu expliquer par le menu à Marie
Les raisons de tous ces agissements pour le moins troublants.
Ce jour-là donc toute la famille s’était vêtue de noir
« Comme il sied pour un deuil ».
Et puis on avait suivi le corbillard pour l’enterrement.
Tout le monde roulait lentement
Comme si on risquait de réveiller le Papé en roulant trop vite !
Marie attendait avec impatience ce moment où le Papé allait être mis en terre,
Et elle se demandait bien pourquoi tout le monde avait l’air si triste.
À l’église, elle ne cessa de se trémousser sur le banc
Pressée que la cérémonie se termine pour aller au cimetière.
Les cloches se mirent à sonner et enfin le cortège s’ébranla.
Tout le village était venu pour accompagner le Papé à « sa dernière demeure »
Marie ne comprenait pas très bien ce que cela signifiait
Mais ses pensées étaient ailleurs,
Le Papé allait être mis en terre et il n’y avait que ça qui comptait.
Arrivé au cimetière Marie avait été surprise en voyant toutes ces pierres fleuries.
Elle n’eut de cesse que sa mère lui eut expliqué ce que c’était : « des tombes »
Mais quand Marie lui avait demandé : « à quoi ça sert ? »
Sa mère lui avait intimé l’ordre de se taire.
Quand le cercueil fut arrivé devant le tombeau familial, dont la pierre avait été enlevée,
On procéda alors à l’inhumation
Le cercueil fut descendu par des cordes dans l’ombre du caveau
Marie n’en croyait pas ses yeux
Mais quand la pierre du tombeau fut remise à sa place puis scellée
Elle se mit à pleurer
Elle se précipita sur la pierre pour essayer de l’enlever.
Personne ne comprenait ce qui se passait.
Sa mère avait bien essayé de l’entraîner à sa suite, en vain
La gamine était dans tous ses états,
Elle sanglotait en criant :
« Mon Papé, mon Papé !
Je veux qu’on l’enterre, je veux qu’on l’enterre
Vous êtes des menteurs ! »
Le curé décontenancé lui expliqua
Que le Papé venait justement d’être enterré
Qu’il était désormais dans sa dernière demeure
Et qu’il fallait faire un peu de silence en signe de respect.
Alors Marie, arrêtée en plein milieu d’un sanglot,
Sidérée, l’avait regardé,
Elle avait regardé la pierre,
Et puis elle avait déclaré :
« Et comment il va faire pour pousser maintenant ? »
©Adamante