Le médiateur de la République est un observateur priviligié de la société française puisque c'est vers lui que se tournent les citoyens en litige avec l'administration. (76000 dossiers dont la moitié concerne des questions de droit).
Ce constat est inquiétant, il met en évidence l'état d'une société du règne du chacun pour soi, prise au piège de l'émotionnel entretenu par les médias, où l'homme disparaît en tant qu'individu pour devenir un "dossier" à régler.
Nous somme loins de ce qui n'est pour l'instant qu'une utopie: "le revenu d'existence" qui reconnaîtrait à l'homme le droit de proposer à la collectivité son potentiel de vie et où le travail serait au service des hommes et non les hommes au service du travail.
Il est évident que dans ce cadre l'argent ne retomberait pas toujours dans les mêmes escarcelles dorées.
Le Monde quelques extraits des propos recueillis par Françoise Fressoz et Cecile Prieur
Dans son rapport annuel au Président de la République, il fait le constat "d'une société émiettée et en tension" .
A la question "quel diagnostic portez-vous sur l'état du pays" il répond :
"Je suis inquiet car je perçois à travers les dossiers qui me sont adressés, une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l'envie de vivre ensemble, où l'on devient de plus en plus consommateur de la République plutôt que citoyen. Cette société est en outre en grande tension nerveuse, comme si elle était fatiguée psychiquement."
Lorsqu'on lui demande si la crise économique n'obscurcit pas son jugement, il répond :
"La France a de bons amortisseurs sociaux. Mais je ne peux que constater que l'angoisse du déclassement augmente. Sont déjà confrontés à cette réalité un certain nombre de nos concitoyens, ceux qu'on ne connait pas, que parfois on ne soupçonne pas, et qu'on peine à dénombrer, formant la "France des invisibles".
Il déclare :
"J'estime à 15 millions le nombre de personnes pour lesquelles les fins de mois se jouent à 50 ou 150 euros près".
"Je suis inquiet de voir que des personnes surendettées peuvent se trouver en plan de redressement personnel pour la deuxième ou troisième fois parce que leurs dépenses dépassent structurellement le montant de leurs ressources."
Lorsqu'on lui demande pourquoi l'état a autant de mal à répondre à ces fragilités il répond :
(.../...) Aujourd'hui les parcours de vie s'opèrent sur des trajectoires de plus en plus fracturées : le même boulot, le même conjoint pour la vie, c'est fini. Des échecs importants peuvent se produire en cours de route. Or l'administration gère des dossiers, non des personnes. l'octroi des aides se fait avec un décalage de plusieurs mois.(.../...)
L'enjeu, c'est de les aider au bon moment, faute de quoi elles s'installent dans une spirale du fatalisme, persuadées qu'elles ne se sortiront pas de leur condition sociale. (.../...)
Je suis frappé par la cohabitation de deux types de sociétés, l'une officielle, que nous connaissons tous, l'autre plus souterraine qui vit d'aides, de travail au noir et de réseaux. Ces deux sociétés ont des fonctionnements parallèles, elles ont leur propre langage, leur propre hiérarchie, leur propre chaîne de responsabilité."
A la question : "Vous y voyez une menace pour le modèle républicain?" Il répond :
"Observez ce qui s'est passé au fil des campagnes présidentielles.
En 1995, le grand thème, c'était la lutte contre la fracture sociale, on se demandait alors comment vivre avec l'autre.
Sept ans plus tard (2002) le thème dominant est devenu la sécurité, se protéger de l'autre dans une société fragmentée, inquiète et sans espérance collective. (.../...) C'est pourquoi je pense que la question du vivre ensemble va s'imposer comme le thème central de la présidentielle de 2012" ...