JEUDI EN POESIE
Vous le savez, j'espère malgré tout
que je mourrai
à mon poste
dans une bataille de rue
ou au bagne.
Mais mon moi
le plus profond
appartient plus
à mes mésanges
charbonnières
qu'aux "camarades".
Lettre de Rosa Luxembourg à Sonia Liebknecht 23 mai 1917.
Ed. Le Temps des Cerises.
Rosa Luxembourg est née à Zamose le 5 mars 1871 en Pologne.
Révolutionnaire Allemande, militante de l'aile gauche de la sociale démocratie Allemande elle est emprisonnée en 1914 à la suite de sa campagne pacifiste et fonde à sa libération le groupe Spartakus avec Karl Liebknecht. Lors de la révolution spartakiste elle fut arrêtée et assassinée le 15 janvier 1919.
… Ma petite Sonia, cela vous irrite de me voir si longtemps détenue et vous demandez : « Comment se peut-il que des êtres humains puissent décider du sort des autres être humains ? A quoi bon tout cela ? »
Excusez-moi, ma chérie, mais en lisant ces mots j’ai éclaté de rire. Dans les frères Karamasov de Dostoïevski, il y a un personnage, madame Choklabova, qui pose ce genre de question tout en interrogeant du regard l’une après l’autre les personnes assemblées, mais qui, avant que l’une ait tenté de répondre, était déjà passée à un autre sujet. Mon petit oiseau, toute l’histoire de la civilisation de l’humanité qui, selon des estimations modestes, compte quelque vingt mille ans repose sur le « pouvoir de décision de certains êtres humains sur d’autres », pouvoir qui plonge de profondes racines dans les conditions matérielles d’existence.
Seule une douloureuse évolution ultérieure pourra changer cela et nous sommes justement les témoins d’une de ces phases extrêmement douloureuses. Vous demandez « A quoi bon tout cela ? » La notion « d’à quoi bon » n’est pas une notion utilisable pour les formes de la vie dans son ensemble. « A quoi bon » y a-t-il des mésanges bleues sur terre ? Je n’en sais vraiment rien, mais je suis heureuse qu’il y en ait et quand me parvient de loin par-dessus les murs de ma prison un rapide « tsi-tsi-bé ! » c’est pour moi une douce consolation.
Au reste, petite Sonia, vous exagérez ma « sérénité ». Il suffit hélas du plus petit nuage qui passe sur moi pour que c’en soit fait de mon équilibre intérieur et de ma béatitude. J’éprouve alors une souffrance indicible, simplement j’ai cette particularité dans ce cas-là de rester muette. Littéralement, petite Sonia, pas un mot ne peut alors sortir de ma bouche…