Méditation sur la campagne électorale Huile sur toile 2006
En cette période électorale, les Esprits se tiennent informés, radio, télé, ils écoutent.
Ils réfléchissent, débattent, rabrouent, en paroles et en actes, quelques journalistes stupides, pardonnez moi le pléonasme, et en particulier le directeur d’un canard
« le point trait point » S.O.S du jour, qu’ils grifferaient avec plaisir s’ils pouvaient le tenir à portée de patte.
Mais « l’expert » auto désigné qui se congratule avec ses petits copains de chaîne, ne se risque pas jusqu’à nous, il préfère faire le beau planqué dans le poste de TV en vociférant ses propos à la testostérone sur son micro cravate qui risque à chaque instant de se prendre dans ses cheveux gris alors qu’il plisse les yeux pour montrer que lui il sait penser.
Les Esprits détestent, il n’est rien qu’ils ne supportent moins que le mépris et la suffisance.
Hier soir donc, les voilà qui s’amènent avec une pancarte où il était écrit en rouge sur fond noir :
« Droit à la culture pour tous ! »
Raides comme la justice dont le postérieur aurait été bafoué par une main indélicate, les voilà, bien campés sur les leurs, qui me provoquent en silence.
Là, devant mon fauteuil, vibrisses indignées, ils me regardent fixement.
Là, sur mon fauteuil, je sens comme un malaise.
Je lève les yeux de mon polar, toujours Upfield et l’inspecteur Napoléon Bonaparte, que j’appelle désormais Bony, car à force de nous côtoyer nous sommes devenus amis, et je me sens un peu déroutée.
Imaginez, je suivais la piste de quelques dingos sur le lac Eyre asséché, là-bas sur le continent Australien et j’étais très loin des préoccupations domestiques d’un appartement parisien squatté par des Esprits indignés et auto déclarés « laissés pour compte ».
« Laissés pour conte » aussi, car voilà des lustres que je n’ai pas ouvert notre livre.
Des lustres, deux mots sacrément pratiques pour éviter de calculer depuis combien de temps, si l'on tient compte, bien évidement, qu'une année de la vie d'un esprit vaut plusieurs années de la vie d'un homme.
Le bouquin doit plisser du nez dans un coin oublié de la bibliothèque en faisant tourner de rage ses images dans la partie yin de son anatomie.
Rappelez-vous que c’est lui qui décide la plupart du temps de ce qu’il veut nous montrer. C’est un tyran de papier gonflé de mots qui lui montent sérieusement à la couverture.
J’abandonne Bony sur la piste des dingos et je me mets en quête de la bible des Esprits. Cela me dérange, je l’avoue.
J’appelle :
« Livre sacré, où es-tu ? »
Afin de n’offusquer personne, je ne dirais pas ce que je crie dans le secret de ma pensée.
Je vous laisse le soin d’imaginer…
Je perçois une certaine agitation sur le rayonnage des contes.
L’introuvable, l’innommable, le grand livre de nos heures, qui a un faible pour Shéhérazade est là, rencogné, renfrogné, entre les contes Creusois et l’histoire secrète du Berry, loin, très loin des Mille et Une Nuits, et ça il ne me le pardonne pas.
Je le prends et l’emporte sans même le regarder, je ne vais pas ouvrir les hostilités avant d’être confortablement assise, les indignés heureux et quelque peu suffisants de leur victoire, installés sur mes genoux.
Le livre, remonté à bloc par sa longue période d’abstinence, s’ouvre.
Il me fait un pied de nez puis nous montre l’image d’une grosse horloge, ronde comme un soleil, avec une petite fille du type autrichien, Heidi blonde à souhait, qui rêve de bonbons sur un quai de gare…
Voilà que mon enfance me revient, combien d’heures ai-je passées à lécher ces coquilles qui me faisaient le bec sucré ?
Rêve de sucrerie
un bon goût de roudoudou
bonheur d'enfance.
Quelques pages plus loin, le livre, toujours irrévérencieux à mon égard, s’époumone, il en a après internet, je l’entends râler :
Cette connexion
un clic et tout est foutu
ah ! le bon vieux temps !
Croissant, café crème, le terrible petit bruit de l’œuf dur sur le comptoir…
Y a des accents d’Prévert dans l’air, le bouquin voit rouge ce soir.
Heureusement, le p’tit gars, héros du conte de la page en question, Marcelin, arrive à vélo,
« drelin, drelin v’la l’huma du matin »
L’ambiance souriante détend l’atmosphère.
Le livre tout à ses histoires décide d’arrêter de m’en chercher.
Il devient grave, comme l’accent, vous savez celui qui protège si bien certaines voyelles. Celui qui se justifie par la peur du S au corps vipérin que l'on chasse du mot, en couvrant la lettre qui le précède, comme par crainte de la brûlure du soleil…
Mais cela ne l’empêche pas de m’emmener en bateau, en bââââââteau…
Comme j’apprécie le voyage, je le lui dit.
Il est ravi et tout souriant, il nous invite alors à pénétrer les secrets d’une maison rose,
Rose
Comme le bonbon
de la petite fille blonde
Blonde
comme les blés
comme les yeux
écarquillés de bonheur des Esprits
qui aiment qu’on leur raconte des histoires
encor et encor !
Le livre prend alors des accents bucoliques.
Il décide de nous entraîner dans son cheminement de livre sacré, dans son cheminement de grand enfant qui découvre la nuit et les étoiles, ce clair obscur si particulier qui transforme et révèle.
Voilà qu’il nous dit sur le ton du Sphinx de Gizeh :
« Une petite étoile est venue dans le pré à la nuit tombée »
« et là, sans faire de bruit, »
« elle a pris la place d'un pissenlit. »
Les Esprits adorent les mystères, ils cherchent ce qui se cache derrière ces mots.
Ils tentent de pénétrer les secrets du grand livre des mutations et, comme il se doit, ne trouvent aucune réponse.
Tout est calme à présent.
Il n’est plus question de griffes ni de campagne électorale.
La banderole est repliée, le peuple des Esprits a vaincu et juste avant que de se refermer, juste avant que j’éteigne la lumière, le livre nous offre encore un peu de cette poussière d’étoile, un cheveux d'or, un peu de ce débris d’un rêve que chante l’enfant de Ravel à la rose…