Défi n° 35 CROQUEURS DE MOTS
Vous êtes une Oeuvre en cours d'écriture racontez vos états d'âmes avant que ne soit écrit le mot "FIN"
A l'abordage ! Que l'œuvre s'exprime ou qu'elle se rende !
Je suis là et j’attends. J’attends.
De toute façon je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre.
Elle m’a plantée là, à peine saluée. Elle avait écrit son titre, deux ou trois lignes laborieuses quand le téléphone à sonné. C’était sa copine qui broyait du noir quelque part dans sa chambre de bonne du 16ème. Le truc sans eau, avec wc sur le palier, qui vous coûte la peau des fesses pour un confort spartiate.
Vous allez me dire que ça ne me regarde pas. Sauf que, si je devais témoigner de tout ce que j’entends au lieu de tout ce que l’on veut me faire dire, quand on y arrive, parce que là c’est pas gagné, eh bien on en apprendrait des vertes et des pas mûres.
La copine chougnait au téléphone, son mec s’était barré avec des potes et l’avait plantée là pour le week-end. Vous allez me dire encore une fois que c'est pas mes oignons, mais quand on connaît le mec y a vraiment rien de surprenant, quand on connaît la copine aussi d’ailleurs. Les filles, c’est toujours pareil, à croire que quand elle sont amoureuses elles voyagent avec des lunettes noires de jour comme de nuit.
Pour en revenir à elle, après m’avoir promenée d’un bout à l’autre de l’appartement, en remontant le moral à l’autre frapadingue -qui, ça reste entre nous et je vous jure que c’est vrai, rêvait de faire Saint Jacques à pied, à la condition qu’elle ait un bon matelas tous les soirs parce qu’elle a mal au dos- elle, elle m’avait larguée sur le tabouret de la cuisine, juste à côté de la poubelle. Tu parles d’un lieu ! Comme elle oublie une fois sur deux de descendre les ordures, il émane de là odeur peu ragoûtante.
Ok, j’ai rien dit, je sais me tenir, mais vous avouerez qu’elle fait fort parfois.
Après, elle se plaint si par hasard y a des taches. Enfin !
Quand elle aura fini de prêter son oreille, je devrais dire sa demi oreille, à l’autre frappée on pourra voir. En attendant elle a pris sa position "handicap", le téléphone coincé à la tête par l'épaule, afin d’avoir les mains libres pour se tartiner une galette de riz avec purée d’amande et miel, bonjour les kilos et les regrets. Après ça elle viendra pleurer qu'elle a mal aux cervicales.
Soit dit en passant, je doute qu’elle soit très attentive, je sais qu’elle pense à autre chose car elle ne cesse de ponctuer par des « hum hum » les propos de la givrée qui, n’écoutant qu’elle, ne s’en aperçoit même pas.
Elle a fini sa tartine et elle se remet à arpenter son territoire. Sûr que tout à l’heure, elle va me chercher partout en râlant. J’ai l’habitude, c'est une tête de linotte et c’est toujours le même cinéma.
Qu’est-ce que je disais ! Elle a dû raccrocher et elle me cherche. Dommage que je ne sache pas siffler, j’ai jamais su, inutile de regretter c’est foutu.
Je l’entends qui s’éloigne, « tu gèles ma grande ».
La porte de la chambre claque, elle commence à s’énerver, ça remue avec véhémence dans le bureau et sur les étagères. Moi, je suis zen, elle finira bien par me retrouver.
La voilà, elle pousse un « Ah tu es là! » et m’attrape sans ménagement. Qu’est-ce qu’il ne faut pas endurer lorsque l’on est corps et âme voué à la culture.
Elle m’embarque, prend une BD, me colle dessus, s’assoit et les pieds croisés sur le bord de la table elle se remet au travail. Ça a peine à démarrer, puis ça se met à cavaler, elle immortalise l’histoire de sa copine, elle y va au vitriol et là c’est pas de la science Hermétique, c’est du ras des pâquerettes par un été flamboyant et feu de forêt garanti en Corse ou en Grèce.
Je te dis pas ce que l’autre lui a raconté pendant que je poireautais sur le tabouret près de la poubelle, la vache ! J’ose pas répéter.
Elle me le ressert une seconde fois à haute voix, avec intonation et tout, elle sait que j’adore ça ! Je ne peux pas dire, il lui arrive parfois d’avoir quelques égards et c’est bête, mais ça me touche. Je lui pardonne tout, je suis comme ça, je ne vais pas me refaire.
Pendant que je lui pardonne le tabouret et les odeurs, elle me colle un point final qui me laisse un peu hébétée et tout soudain elle me classe dans sa bibliothèque avec les autres qui attendent un éditeur.
Bon si par hasard vous en connaissez un, soyez sympas, pensez à moi, ça manque d’air dans ce coin là.
Signé : l’œuvre au noir.
©Adamante