Pour l'Arbre à mots, dans le cadre du Bestiaire fantatique, avec :
Le Balisier des couleurs, Quichottine, Malivoyage et
Je vous invite à la découverte du Tigrocigogna.
Le Tigrocigogna ? Une invention totale de la "Chadamante" !
Que mon conte vous fasse voyager
loin...
Depuis quelques années, dans un petit village du beau département d’Alsace, on peut voir des nids de cigognes habités par de curieux locataires. Personne ne pourrait dire quand cette nouvelle espèce est apparue, mais il faut se rendre à l’évidence, elle est là et bien là.
Je me suis laissé conter qu’un jour…
C’était aux environs de la fête de la Saint Valentin.
Tigro, le chat de Mia, la fille de la maison des Wurtzmraow, chat d’intérieur détestant se mouiller les pattes, et prisant les activités physiques que l’on pratique les yeux fermés sur un lit ou un canapé confortables, allez savoir pourquoi, avait décidé de partir à la découverte du monde.
À moins qu’il n’y ait été invité par la femme de ménage, excédée par les poils qu’il laissait sur tous les coussins de la maison.
Tigro s’était donc retrouvé un soir à la rue, quelque peu désemparé.
Mais, dans sa tête de chat philosophe, il n’avait pas totalement oublié qu’il tenait de son espèce une insatiable curiosité.
Mû par cette force salvatrice, il avait parcouru les rues, la place, les toits et tout ce qui pouvait être visité au village.
Sa liberté le ravissait. Il avait bien quelquefois connu les désagréments de la faim, mais il avait quelques réserves et après tout il était chat, il pouvait s’adonner au plaisir de la chasse.
Peu habitué il est vrai, il en revenait souvent bredouille, mais il était débrouillard, il avait repéré la seule taverne du village dotée de poubelles particulièrement avenantes.
Il y terminait donc toutes ses parties de chasse et s’y délectait de mets raffinés que des clients repus n’avaient pu finir.
On comprend aisément que Tigro, ne songea pas à revenir chez Mia pour se faire tirer la queue et habiller comme une poupée.
Tigro était un jeune matou entier, entendez par là que le vétérinaire ne lui avait pas encore ôté ses attributs virils et il était bien décidé à en profiter.
Il avait déjà croisé quelques minettes bien roulées, mais, après quelques minauderies, elles l’avaient éconduit en crachant. Il n’avait donc pas encore trouvé le grand amour. Il se disait qu’au fond, dans la vie, ce qui compte le plus c’est d’avoir l’estomac plein et un bon coin pour dormir, ce qu’il avait.
Pour échapper au bruit, à la promiscuité et pour être maître en son royaume, en dominant toutes les situations, il avait élu domicile dans un nid de cigogne abandonné, perché en haut d’un arbre, ce qui arrive parfois. Il y vivait heureux et en paix.
Un soir qu’il terminait sa partie de chasse dans les poubelles de la taverne, il vit une cigogne qui fouraillait là de son long bec, quelques détritus tombés au sol.
Discrètement Tigro l’observait.
D’un coup sec, il la vit attraper une souris qu’elle avala d’une simple déglutition.
Admiratif, il ne put réprimer un cri.
La cigogne, surprise, se tourna vers lui et ils restèrent un long moment, interdits, à se regarder.
À dire vrai, ce fut le coup de foudre, la résurgence improbable d’un sentiment vieux comme le monde qui bousculait toutes les règles habituellement imparties aux espèces.
Bêtes tous deux, comme seul l’amour peut rendre bête, ils restèrent de longues minutes à se regarder. Le temps s’était arrêté, leurs cœurs affolés cognaient dans leurs poitrines au rythme de la folie d’aimer.
Ils échangèrent leurs petits noms, quelques civilités, voulurent tout savoir de l’autre et se donnèrent rendez vous le lendemain.
Très rapidement Tigro invita Cigogna à visiter son nid et comme il est de coutume chez les cigognes que ce soit Monsieur qui construise le nid, Cigogna tout naturellement s’installa chez Tigro, en haut de son arbre. Ils s’aimèrent, partagèrent musaraignes attrapées par Madame et saucisses de Strasbourg attrapées par Monsieur, couvant chacun leur tour les fruits de leur passion, jusqu’au jour où enfin le miracle se produisit.
Ils entendirent un petit craquement et de leur premier œuf, ils virent apparaître, la larme à l’œil, un curieux rejeton à la tête de chat surmontant un long cou emplumé, équipée d’un long bec entouré de moustaches avec un corps velu comme papa et de petites ailes comme maman.
Le premier Tigrocigogna venait de naître, rapidement suivi par d’autres rejetons tous aussi atypiques et tous aussi charmants.
Ils vécurent longtemps dans un bonheur parfait et les gens du pays, au départ surpris par ces nouveaux venus, s’habituèrent très vite à leur compagnie. Considérant cette nouvelle espèce comme un cadeau des Dieux, ils aimaient parfois, le soir, sortir pour écouter ronronner les cigognes et voir voler les chats.
Il est depuis un dicton au pays :
"Qui a écouté le ronronnement des cigognes et admiré le vol des chats, jamais de rien ne
manquera!"
©Adamante