Jeudi en poésie
CROQUEURS
DE MOTS
Po ur ce jeudi en
poésie je vous propose de découvrir le portique (préface) ainsi que la première
porte du livre de la "vérité de parole," traduction des hauts textes initiatiques de l'Egypte ancienne par le Dr Jean Charles Mardrus.
Un introuvable qui, si j'étais éditeur, serait mon premier livre à rééditer.
Adamante
PORTIQUE :
L'Égypte ancienne, tout le long de ses rives, depuis la Nubie jusqu'à la mer, est un
livre de pierre d'un développement de quatorze cents kilomètres (…/…)
Nous avons tenu à dépouiller cet écrit nôtre de tout aspect rébarbatif, de toutes
notes pédantes, de tout l'appareil technique et des termes décourageants dont se hérissent d'ordinaire les écrits de nos épigraphistes. Nous pensons rendre ainsi service à cette classe
sélectionnée de lettrés et d'artistes qui, seule, nous intéresse.
Nous donnons à ce livre le nom que les Égyptiens eux-mêmes donnaient à tous
les écrits qui avaient trait à cette vie de l'Au-Delà, dans laquelle on n'entrait que par la vertu des Formules douées de la Vérité de Parole.
Nous aurions pu, ainsi que le veulent quelques Égyptologues, appeler cet écrit "Le
Livre des Morts" ou encore "Le Livre de qu'il y a dans l'Hadès". Rien n'eût été plus faux. Car les Égyptiens ignoraient totalement la mort telle que nous la concevons. Ce que
nous nommons de ce mot redoutable était, chez eux, une chose fort recherchée, et à laquelle ils ne cessaient pas un instant de penser et de se préparer. La Mort était, pour eux, un simple
changement de condition, mais en beaucoup mieux. Un Égyptien de l'antiquité meurt comme il se marie, sans plus ; mais il est assuré, d'avance, de ce qui va se produire pour lui de merveilleux. Le
tout est d'avoir un bon Officiant pour la cérémonie.
L'État d'esprit de l'Égyptien sur son lit de mort, est identique à celui du Prêtre
qui, dès la minute où, revêtu des habits sacerdotaux, a prononcé, à l'autel les premières paroles sacramentelles, n'appartient plus ni à lui-même ni à la terre, mais au Sacrifice divin
qu'il va consommer. Il sait qu'à sa voix et à son geste, émit selon le Rite, des "espèces" du pain et vin vont se transformer en la chair divine et en le sang divin. Et il
procède, sans trouble, à l'oeuvre sacrée, à ce changement de substance, à cette transformation qu'il va opérer indubitablement par le geste qui se doit, par le verbe qui sied et par l'intonation
juste.
De même, l'Égyptien mourant a la certitude qu'il ne restera inerte que quelques
instants après l'arrêt du coeur, juste le temps d'être purifié, d'être embaumé et de bénéficier des rites funéraires. Il sait qu'à partir du moment où l'Officiant
juste de voix a accompli sur sa Momie la cérémonie de l'Ouverture de la bouche, une vie nouvelle, infiniment plus durable et plus souhaitable, tant à
l'intérieur de l'hypogée que dans l'Au-Delà, lui sera à jamais infusée, comme elle le fut autrefois au divin Osiris, le Premier des Ressuscités.
Le mort égyptien est donc un vrai-vivant. La région où il aborde,
hors de l'Hypogée, n'est pas le ridicule Hadès des Grecs, mais le Pays de la Vie, la Divine Région Inférieure, le Divin Dessous, l'Amentit ou Région Cachée, le Territoire de la
Vérité de Parole, la Terre Promise de l'Occident, les Bienheureux Champs d'Ialou ou de Fèves en fleurs, le Pays de la Manifestation à la Lumière.
L'Influence exercée sur le monde antique par la pensée de l'Égypte, sur tous les
domaines : métaphysique, art, philosophie, mystique, a été telle que nous pouvons affirmer, que tout être vraiment grand dans l'antiquité, n'a été grand qu'en proportion de la
connaissance qu'il avait de cette pensée de l'Égypte.
Pythagore, Platon et les fondateurs du judaïsme et du christianisme sont
l'illustration péremptoire de notre dire, qui ont passé leur jeunesse sur les bords du Nil, au milieu des centres initiatiques. Alexandre n' a pris conscience de la parcelle divine qui était en
lui, comme en tout être évolué, et n'a dépassé son maître Aristote qu'après avoir reçu l'initiation du temps d'Amon, dans la grande Oasis, but suprême de son expédition. Et le peuple Juif, s'il
est devenu au milieu des autres Sémites, le Peuple Élu, ne doit-il pas ce privilège insigne à son long séjour dans cette Égypte mère des hautes spéculations ? L'Évangile, enfin, ne nous
apprend-il pas que le Christ lui-même passa toute son enfance et peut-être toute sa jeunesse sur cette terre propice à l'éclosion du divin ?
Que l'on ne s'y trompe donc pas.
Les textes enfermés dans ces pages sont à la base de notre culture, à la base de
toutes les civilisations. Rien ne leur est antérieur. Ils sont les sources. Ce qu'il y a de plus élevé dans la pensée des Sages de tous les temps n'est qu'un reflet de leur enseignement. Ils sont
la Genèse, la première Genèse, celle dont les racines plongent et se nourrissent dans le Grand Mystère.
"O Égypte, Égypte ! -s'écriait le Trismégiste, à une date déjà ultra-"millénaire- il
ne restera, un jour, de ta pensée et de tes grands "mystères, pour les générations futures, que des signes taillés dans la "pierre et devenu indéchiffrables pour le commun des hommes. Mais "ils
suffiront pour t'immortaliser dans les siècles des siècles."
Dr J.C. MARDRUS
PREMIÈRE PORTE
Ô Formes d'éternité, me voici.
Je suis l'un de ces divins chefs, porteurs de vérité, justes de voix par la vertu du Seigneur de la Voix, qui font être
Réalité par la voix juste et l'intonation juste, la puissance de la Vérité de Parole.
Me voici. Je vous connais, ô Maîtres de Vérité.
Je te connais, Dieu souriant, Ounnofer, mon Seigneur, l'Etre Bon, l'Immobile de coeur, Souverain des Momies.
Je te connais, ô Dieu Bleu, je connais ton nom, je connais le nom de ces Quarante Deux qui sont assis avec toi dans la Salle de
Vérité.
Me voici devant le Tribunal du Véridique.
Je me présente avec mon coeur sur ma paume, en Momie vivante, osiriennne, parfaite, prospérante, purifiée, florissante, membres verts,
oeil fascinateur, une merveille de Momie extrêmement.
Mon répondant est le Guide des Chemins, Chef de la Montagne d'Occident. Et ma patronne est cette Divine Couveuse, ma Nourrice, Dame de
Nubie, Régente de Thèbes, qui m'a nourri de son lait et m'a donné les millions de panégyries, avec sa soeur, ma protectrice par ses ailes, la Douce Dame d'Asie, Régente
d'Eléphantine.
Je suis un Lumineux d'aujourd'hui enfanté par Hier. J'ai traversé les Horizons de Verre, les espaces planétaires, la convexité des
mondes et la sainte Constellation Sahou.
Je suis venu pour défendre mon coeur, mon coeur de ma mère. Le voici sur ma main. Qu'il soit pesé dans la Balance de
Vérité.
Je suis pur. Je suis pur.
Donc, je vous rends hommage à vous tous, dieux de vérité. Et j'invoque en mon esprit, mon créateur, Celui dont je suis né, le Stable
fils du Stable, conçu et enfanté par lui-même dans le Territoire de la Stabilité.
L'Ineffable est son nom. le Caché des Cachés est son nom. L'Amon des Amens est son nom. Phré Harmakis Khepra Toum est son nom. Tout ce
qui a été, tout ce qui est, tout ce qui sera est son nom.
Il est le Seigneur du Devenir en Soi, dans les Demeures de millions d'années. Ceux qui sont encore dans le sein de leur mère ont déjà
leur face tournée vers Lui. Il est l'Unique.
Je rends hommage à ce Maître des Maîtres, car je suis une Momie vivante, en son heure. Je vis en toute vérité, dans cette
manifestation à la Lumière. Et, le Verbe, s'étant fait Réalité , par la vertu de la Voix juste, j'arrive en Epervier et je sors en Phénix.
J'arrive en Epervier et je sors en Phénix. Je vis à mon gré. Je vais où il me plaît aller. J'entre et je sors chaque jour selon mon
seul plaisir. Je circule où bon me semble. Je revêts toutes les formes qu'il me plaît revêtir. Je tiens la pierre lapis dans ma dextre. J'ai à mon oreille droite la fleur d'Ankham en boucle
d'oreille. Je suis florissant, je suis prospérant. Mes membres sont verts, mon oeil est fascinateur. Je suis une merveille de Momie extrêmement.
Je suis pur. Je suis pur.
"-Donc salut à ce chef divin, à ce Lumineux d'aujourd'hui enfanté par Hier, à ce nourrisson d'une déesse."
"Salut à ce ferme de conduite, bouche pure, intérieur pur, coeur pur."
"Tu arrives en Momie vivante, parfaite en son heure. Tu entres en Epervier et tu sors en Phénix."
"Tu tiens la pierre lapis dans ta dextre. Tu as à ton oreille droite la fleur d'ankham en boucle d'oreille. Ton oeil est
fascinateur."
Comme j'ai la chance d'avoir un livre comportant les exégèses de l'auteur, je livre à ceux que cela intéresse l'exégèse de cette
première porte.
EXÉGÈSE
L’adepte arrive en récipiendaire dans la Divine Région Inférieure, à la Première Porte de la Demeure
Cachée ou « Amentit ».
Il connaît, pour les avoir méditées durant l’éphémère passage de sa prime vie, les Formules douées de toute puissance.
Il sait que son emprise sur les « formes d’éternité », dieux « nomarques » des provinces ou « nomes »
terrestres d’Egypte, qui vont peser ses mérites avant de lui permettre d’aller plus loin, sera en raison directe de la vérité incluse en la parole qu’il va formuler au moyen de l’irrésistible
verbe humain.
Mais il sait aussi que la vertu de ce verbe humain ne réalisera avec certitude toutes les possibilités
sacrées que par une justesse indicible de timbre, que par les sons mystiques que va émettre sa propre voix humaine.
Car cette voix est elle-même une note, infinitésimale, il est vrai, détachée de la grande voix primordiale du Démiurge ordonnateur,
maître des Sept Notes qui, en un rire divin, suscitèrent autrefois la Lumière du sein du chaos.
Il sait enfin que les sons mystiques qu’il va recréer, pour sa justification, en une sorte d’objurgation
jaculatoire, de psalmodie dominatrice, pénétrée de véhémence concentrée, devront être en concordance parfaite avec la mélodie des sphères, avec le chant harmonique des Stations
Astrales.
Sachant tout cela, du fait de l’initiation et du fait de sa pénétrante intuition, et que le fond le plus secret de l’arcane des
arcanes est encore la Vérité, toujours la Vérité, le futur Adepte franchit délibérément, nonobstant un reste de terreur humaine qu’il refoule vers la nuit, le seuil redoutable de cette Première
Porte que viennent d’ouvrir devant ses pas les gardiens de l’Amentit. Car ils sont reconnu, à certains signes, en l’image minuscule de l’âme pure de la pupille, vivante comme une goutte d’eau où
reluit le Soleil, un Initié, un « Lumineux d’Aujourd’hui, enfanté par Hier», un nourri de Vérité. C’est pourquoi il a le pouvoir de donner la vie, à son tour, par cet acte belliqueux de
l’être véridique, qui est de faire la vérité par la parole, puisque la vérité c’est la vie.
Lors il s’avance, impassible d’apparence, inébranlable en sa pensée, ferme de démarche, à ‘intérieur de la Salle où siègent les
Quarante Deux Incorruptibles, nomarques impartiaux au milieu desquels, visible rien qu’aux yeux de l’être aperceptif, sourit l’Unique, le Grand Dieu Bon, « l’Immobile de cœur »,
seigneur des Momies.
Et voici que le postulant, encadré par les Deux Sœurs Divines, dans le rôle secourable qui leur est dévolu, et fortifié par le fluide
que lui infusent leurs mains qui le soutiennent, parle.
Or, dès les premières paroles, émise avec l’assurance consciente, un peu hautaine, du juste décidé à impressionner ses juges, fût-ce
même au prix des plus magnifiques effets de grandiloquence et de savoir magiques, on sent bien, en ce court instant où il tient, sous la puissance du verbe humain bien conduit, la décision du
Destin, qu’il sortira hautement justifié de ce Tribunal du Véridique. Et en effet, il a su influencer et même envoûter les Dieux, ces Formes d’Eternité, qui le saluent et le congratulent, avec
quels termes dithyrambiques, en lui accordant le viatique et lui ouvrant le passage qui le conduira, sans encombre, à la Deuxième Porte.